Ségolène Davin & Charlie Dupiot[FRA]

  • Photographie & Cinéma
  • 15.12.2018

    Selfiraniennes [1/1]

Interview

Le 23.11.2018 par Juliette Mantelet

« Selfiraniennes » est une web-série documentaire dans laquelle de jeunes femmes iraniennes se confient sur leurs amours, leurs libertés et leurs épreuves. Cette web-série qui mêle parfaitement humour, émotions et apprentissage nous a beaucoup touchés. Nous avons donc voulu rencontrer Charlie Dupiot et Ségolène Davin, les deux réalisatrices, pour échanger autour de l’Iran, de ces rencontres féminines inspirantes et surtout, pour évoquer ce procédé original qu’elles ont fait le choix d’utiliser : une caméra de smartphone collée sur un miroir.

« Selfiraniennes » se compose de six épisodes, tous disponibles sur le site de France Télévisions ou encore sur Youtube. Chacun aborde un thème bien précis allant du travail à l’amour, sans oublier des thèmes plus intimes comme la sexualité. On y voit des jeunes femmes iraniennes âgées de 20 à 30 ans raconter leur histoire, partager des anecdotes, sans jamais être interrompues par les questions des journalistes. Au contraire, elles se confient librement, comme si elles se parlaient à elles-mêmes dans leur miroir, en se maquillant ou en ajustant leur voile.

Charlie et Ségolène, elles, se sont confiées à nous sur ce projet et sa réalisation sur le canapé même où elles en ont mûri l’idée. Leur objectif avec Selfiraniennes était de « faire tomber les mythes nombreux qui circulent autour des femmes iraniennes ». Elles voulaient montrer par leur web-série qu’un entre-deux existe, loin de la jeunesse dorée des orgies ou des femmes complètement soumises, et surtout faire entendre toutes les paroles. Tout au long des épisodes on apprend énormément sur la culture iranienne et sur la vie quotidienne des femmes, pas toujours si différente de la nôtre, dans ce pays de fantasmes. Plus on regarde, plus ce qu’on croyait savoir se révèle faux. Un exemple ? On pense souvent que le voile est ce qui pèse le plus sur le dos des jeunes iraniennes mais on comprend bien vite que la famille, l’apparence et les mensonges ont en fait un poids bien plus lourd…                                                                                    

Le selfie : un nouveau mode d’expression

Ségolène et Charlie ont adopté le mode « selfie » pour mener à bien leur documentaire. Un nouveau moyen d’expression original qui permet une vraie plongée dans les confidences et fonctionne parfaitement. Elles ont simplement collé un smartphone sur les miroirs des jeunes femmes pour ne surtout pas « que la caméra les effraie ou ne soit un obstacle ». Elles filment donc les Iraniennes dans leur chambre, l’espace le plus intime pour elles. Ségolène raconte que si ce processus a particulièrement bien fonctionné c’est justement car : « Les jeunes femmes iraniennes se mettent beaucoup en scène avec Instagram et utilisent beaucoup la caméra du smartphone » Un premier point sur lequel ces femmes semblent très proches de nous.

Ce procédé a permis aussi aux réalisatrices de contourner une interdiction, celle de filmer en extérieur en Iran. Charlie explique que dans le pays : « L’espace intérieur possède toute une symbolique. C’est un espace de liberté où les femmes ont envie de s’exprimer. » Un espace où les femmes peuvent aussi se retrouver face à elles-mêmes. C’est pourquoi Ségolène et Charlie souhaitaient se faire toutes petites et n’avoir avec elles dans la pièce que leur traductrice. « Il ne fallait pas trop qu’elles nous regardent, il fallait vraiment qu’elles nous oublient » précise Charlie. Et elle ajoute en rigolant, « Cela a tellement bien marché qu’il y en a une, elle n’a jamais quitté le miroir des yeux pendant presque deux heures. »

 

Elles décrivent également la mise en place concrète : « Le smartphone était collé au miroir et puis on discutait. Charlie était en dessous pour capter le son, à côté il y avait notre traductrice qui traduisait chaque réponse en anglais et puis moi j’étais dans un angle mort pour vérifier le bon déroulement. » explique Ségolène. Plongé dans l’intimité de ces femmes dont la parole circule librement on a l’impression petit à petit de les connaître, de devenir leurs amies en recevant directement leurs confidences sans intermédiaire entre elles et nous. On aimerait pouvoir leur répondre et échanger sur nos vies, finalement pas si différentes.

Nouvelles copines

Une des premières choses qu’ont remarquées les deux réalisatrices c’est la proximité de ces Iraniennes avec elles.
« Elles pourraient très bien être nos copines » résume Charlie en souriant. Ségolène rajoute : « Elles regardent les mêmes séries que nous, elles utilisent aussi Instagram ou Pinterest pour trouver leurs inspirations mode ».

D’ailleurs, elles sont restées proches et ont toujours des nouvelles de leurs interviewées dont elles suivent le parcours avec attention, notamment sur Instagram. Certaines ont commencé à travailler, une jeune femme a même monté sa start-up de produits iraniens pour les expatriés nostalgiques.

Au-delà d’en apprendre beaucoup sur la vie des Iraniennes, la web-série permet aussi en miroir de réfléchir à la situation des femmes en France, aux contraintes qui existent aussi dans notre pays et aux contraintes qu’on s’impose soi-même. « Pendant les discussions on a vu beaucoup de ponts se créer avec nos situations de femmes en France et on voit du coup que certaines choses ne vont pas non plus chez nous. C’est très intéressant de réaliser que tout n’est pas noir en Iran et à l’inverse que tout n’est pas blanc en France. Chez nous aussi il y a des problèmes » retrace Charlie.

Un optimisme à toute épreuve

Ce qui marque le plus en regardant Selfiraniennes c’est l’optimisme dont font preuve ces onze jeunes femmes, un optimisme inattendu qui étonne. Elles aiment leur pays et pour la plupart ne se verraient pas vivre ailleurs, malgré un manque de liberté criant dont elles sont parfaitement conscientes. Une seule d’entre elles semble terriblement malheureuse et décrit « vivre dans une cage ». Charlie et Ségolène expliquent que pour cette femme qui a vécu un temps au Brésil et a connu la liberté, le retour dans un pays où rien n’a changé a été extrêmement douloureux. Mais celles qui n’ont jamais quitté l’Iran semblent sincèrement épanouies. Elles sont très inspirantes par cette attitude si mature de « faire avec », une attitude pourtant pas évidente pour des femmes parfois seulement âgées de 22 ans. « Elles ne pètent pas les plombs à un âge où pourtant on a souvent envie de tout casser » souligne Ségolène.

« Ce qui était intéressant avec l’Iran c’était de voir comment les femmes composent avec le peu de libertés qu’elles ont et comment elles arrivent quand même à être épanouies » évoque Charlie. C’est d’ailleurs cette phrase très forte qui conclut Selfiraniennes : « On n’est pas libre mais on fait avec ». Une phrase qui fait relativiser sur nos petits problèmes d’occidentaux râleurs.

L’humour est aussi étonnement très présent dans la websérie. On retiendra notamment cette phrase magique d’une des jeunes femmes qui explique que porter un voile est finalement très pratique quand on a les cheveux sales, ou encore la scène où les deux plus jeunes s’amusent des sens différents selon les pays que peut prendre la phrase « J’ai tout fait », quand on évoque la sexualité. « Tout faire là-bas [en Occident] ça veut dire que t’es allée jusqu’au BDSM » précise l’une d’elle.

Une situation encore fragile

Mais si ces femmes apparaissent très solides et positives face à leur vie, elles n’en restent pas moins prudentes et savent que la situation peut très vite basculer. Charlie nous explique qu’elles ont bien compris qu’elles ne peuvent pas compter sur la politique pour de grands changements et qu’elles n’en attendent d’ailleurs plus. Elles se contentent de petits pas et se réjouissent par exemple simplement qu’à Téhéran, elles puissent désormais baisser un peu leur voile pour qu’on aperçoive leurs cheveux.

La situation en dehors de Téhéran est d’ailleurs aussi très différente et les libertés acquises par ces femmes dans la capitale sont loin de l’être pour celles qui restent dans le giron familial et la campagne. « Faire l’amour avant le mariage c’est synonyme de mort à la campagne » indique une des jeunes femmes plus sérieusement.

« Selfiraniennes » c’est tout ça à la fois, des réalités violentes et des phrases dures mais aussi des fous rires et des anecdotes franchement drôles. On a l’impression après les six épisodes de quitter des copines. On voudrait leur poser d’autres questions, aborder d’autres sujets et surtout continuer à les suivre, prendre de leurs nouvelles… En discutant on a d’ailleurs glissé l’idée à Ségolène et Charlie, qui souhaitait déjà décliner leur procédé dans d’autres pays, de faire une suite, dans quelques années, avec les mêmes femmes, pour suivre leurs étapes de vie et vieillir un peu à leur côté.

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