Rosamen Bado[FRA]

  • Mode

Interview

Le 13.02.2020 par Juliette Mantelet

On a découvert Rosamen Bado sur notre plateforme préférée pour dénicher des marques cool et éthiques. On a nommé Face to Face bien sûr ! On a été séduites tout de suite par le côté battant de Nathalie, sa fondatrice. Malgré un milieu social modeste et une adolescence dans la tour 16 de l’Haÿ-les-Roses dans le Val-de-Marne, Nathalie n’a jamais abandonné son rêve de lycéenne. Elle n’avait pas de quoi se payer tout de suite une école de mode, alors elle a fait une licence de philo, pour renforcer sa culture générale. Puis une école d’art et enfin du stylisme. Après tout ça, encore une formation en Merchandising Visuel pour rester dans le milieu de la mode et six ans chez Chanel. Puis deux enfants. Nathalie a subi une première grossesse difficile, un HELLP syndrome plus précisément, qui a failli lui coûter la vie et celle de sa fille. La créatrice a alors décidé qu’il était temps de faire ce qu’elle avait « vraiment envie de faire dans sa vie ». Elle a quitté Chanel, et un peu plus tard, l’année de ses 33 ans, Rosamen Bado est née. Le nom de sa marque est un hommage au prénom de sa mère haïtienne qui lui a tant transmis et qui lui répétait sans cesse : « on n’est pas obligé de ressembler à ces problèmes ». Elle qui a quitté son île à 33 ans (coïncidence ?) pour venir s’installer en France où elle a courageusement trouvé sa place. Le courage de Nathalie, c’est un héritage.

On aime la mode maximaliste de Nathalie, à rebours de ce qui se fait aujourd’hui. Manches bouffantes, col à jabot, motifs floraux toute l’année… Le style est affirmé, éclatant, vibrant. Nathalie s’est toujours marrée avec ses fringues, qui sont pour elle un vrai moyen de « se présenter au monde ». La créatrice veut que les femmes, par leurs tenues, prennent la place qu’elles méritent, arrêtent de se faire toujours discrètes et de s’excuser d’être là. Faire exploser la féminité. Adieu le noir et blanc, le discret et le sobre. Comme lorsqu’elle était plus jeune, Nathalie exprime par le vêtement ses différences, ses origines, son combat, sa force. Rencontre.

LE VÊTEMENT ARMURE

« C’est important pour moi de prendre de la place et de ne pas me cacher. »

Quel est ton premier souvenir vestimentaire ?

J’ai commencé à m’intéresser à la mode assez jeune, parce que j’allais dans des friperies le week-end à Belleville avec ma maman. Et je m’habillais déjà principalement en fripes, ce qui n’était pas trop à la mode à cette époque-là. J’adorais me composer des looks assez différents. J’aimais bien tout ce qui était manches ballons. Et puis je vivais dans une ville où nous étions la seule famille noire, donc j’étais déjà différente de base et au lieu d’en faire un handicap j’ai choisi de l’accentuer. Ce qui m’a permis parfois de créer le dialogue et parfois de me protéger des autres. J’ai toujours voulu évoluer dans la mode. Ça a été une vraie révélation quand j’ai eu seize ans, j’ai commencé à lire les magazines de ma sœur mais je n’ai pas eu la possibilité de faire une école de mode tout de suite, comme c’est 10 000 € l’année… Il faut les avoir !

Sur ton site, tu parles de « vêtements armure », de quoi veux-tu te protéger ?

En tant que femme, on a toujours besoin de se protéger. Nos mères nous ont appris à baisser les yeux quand un homme nous regardait trop longtemps. Si on porte une jupe trop courte, on se fait toute petite. On a tendance à se déguiser, à répondre à des codes qui ne nous correspondent pas forcément, que l’on n’a pas décidé. J’ai eu toute une période où j’étais timide, où je n’étais pas à l’aise dans mon corps, et avoir des vêtements volumineux, colorés, ça me permettait de revêtir une autre peau qui me donnait la force d’être plus extravertie, plus confiante. Et maintenant que je me sens plus femme et à l’aise avec mon corps, mettre des choses volumineuses et colorées c’est aussi essentiel. C’est important pour moi de prendre de la place et de ne pas me cacher.

« Ma féminité j’ai envie de la faire exploser. »

Du coup tu es à l’opposé de la tendance du moment qui est à la mode minimaliste ?

Chacun se retrouve dans un style. Pour moi, c’est important que les femmes soient plus visibles. Aujourd’hui, il ne faut pas être trop jolie. Mais ma féminité, j’ai envie de la faire exploser. On n’a pas à sentir une culpabilité d’être femme. « Prends pas trop de place, baisse les yeux » … C’est comme si on n’était nées coupables.

C’est quoi alors ta définition du maximalisme ?

J’utilise ce mot car je considère que le style de la marque est un peu baroque. Ce n’est pas juste féminin, c’est ultra-féminin. Pour moi maximalisme c’est aller jusqu’au bout de cette féminité et même de l’exacerber, de l’exagérer. Ultra-féminin, ultra-visible.

La pièce iconique de CE MAXIMALISME, c’est quoi ?

Celle que les clientes adorent c’est la blouse Vallotton, elle est imposante et facile à la fois. C’est un bon entre-deux. Mais moi mes pièces préférées ce sont le top Heatbreaker et le top Lino. Des pièces assez structurées, avec de la géométrie. Le Lino est très graphique, je le porte en version fleurie. J’adore aussi les oppositions. Se dire que la féminité, ce n’est pas seulement de la douceur, de la fluidité… La féminité peut être aussi synonyme de force, de structure.

En quoi ta marque est-elle éthique ?  

Je récupère mes matières dans des fins de rouleaux, soit de l’industrie de l’ameublement, soit principalement de l’industrie du luxe. Je fais avec ce qui existe déjà. Et mes ateliers sont à Paris, car je me dis qu’il y a du chômage en France, donc autant faire travailler son voisin. Après, je ne me pose pas comme quelqu’un de militant parce que cela me paraît juste normal. Dans mon processus, comme je m’habillais déjà en fripes, ça ne me semble pas être extraordinaire. Je trouve ça plutôt excitant d’arriver quelque part et de ne pas savoir ce qu’on va trouver. Tomber sur des tissus magnifiques et se demander ce qu’on va en faire. C’est cette partie du processus créatif qui me stimule. On appelle éthique des choses qui sont assez évidentes. Bien traiter les personnes avec qui on travaille, faire attention à ce que l’atelier avec lequel on bosse ne fasse pas n’importe quoi n’importe comment et essayer de ne pas en rajouter à la catastrophe planétaire actuelle, ce n’est pas un argument non plus.

« moi j’ai envie d’être Galliano. »

Est-ce qu’en venant d’un milieu défavorisé, ton parcours a été plus chaotique ?

Bien sûr que ça été plus difficile. Quand j’étais à la fac et que je suis allée voir la conseillère d’orientation en lui disant que j’avais envie d’être styliste, que je voulais passer par une prépa d’école d’art pour intégrer ensuite une école de mode publique, elle m’a dit que c’était très difficile, que je pourrais déjà commencer par faire des costumes à des kermesses. Et je lui ai répondu : « Attendez, vous n’avez pas compris, moi j’ai envie d’être Galliano ». Mais ce sont des choses qui m’ont donné de l’énergie. Même la fac de philo, ce n’était pas forcément ce qui m’était conseillé en venant d’un lycée difficile, en ZEP. C’est un peu compliqué de passer de « Tom-Tom et Nana » à Platon. J’ai redoublé ma première année mais j’ai eu ma licence. On nous ferme des portes et on a tendance à laisser les autres nous dire de quoi on est capables mais en fin de compte, surtout en France où l’école est gratuite, tout est possible. Oui c’est beaucoup plus dur, mais ce n’est pas impossible. Il faut prendre sa place et ne pas attendre que quelqu’un nous autorise à accéder à telle ou telle chose. C’est un travail que je fais pour avancer et que mes enfants peut-être vont continuer. Ils iront plus loin que si j’étais restée à la place qu’on m’avait accordée.

Et il ressemble à quoi ton quotidien de super maman entrepreneuse ?

Alors on ne fonctionne pas du tout avec des nounous pour le moment, parce que vie d’entrepreneuse ça veut aussi dire qu’un euro, c’est un euro. Donc dès que je me lève je me mets à bosser, j’arrête à 17h pour aller chercher mes enfants. De 17h à 20h je m’occupe d’eux, et une fois qu’ils sont couchés soit je vais m’y remettre, soit je vais m’accorder un peu de temps avec mon conjoint. Le plus dur ce n’est pas les enfants parce que j’en fait une priorité, c’est plutôt la vie de couple !

Quelle est la chose la plus importante que t’ait transmisE ta mère ?

Les valeurs du travail et du courage. Pour elle, travailler c’est hyper important. Je sais que je suis un peu culbuto. Comme tout le monde, je tombe mais je ne peux pas faire autrement que de me relever. J’ai appelé ma marque Rosamen Bado, parce que ma mère n’a pas du tout été à l’école, elle est arrivée dans un pays qu’elle ne connaissait pas, où elle n’était même pas capable de lire les stations de métro…

Sur ton site, on découvre LA GALAXIE BADO, késako ?

Je voulais faire un pêle-mêle, quelque chose d’infini, une page hyper longue avec toutes mes inspirations… Parce que je peux très bien être inspirée par des images de sapeurs aussi bien que de Catherine Deneuve. Et je vois pas pourquoi je devrais choisir. J’avais envie de tout mettre sur une page pour que les gens puissent entrer dans mon univers et comprendre qu’on peut adorer Nina Simone et écouter Britney Spears aussi.

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