Rebecca Brodskis[FRA]

  • Art & Peinture

Chronique

Le 13.05.2020 par Juliette Mantelet

Rebecca Brodskis, le portrait comme mélange des genres

Deuxième épisode de notre dossier sur le portrait de la femme avec la peintre française Rebecca Brodskis. Entre art figuratif et abstraction, féminin et masculin, les portraits de Rebecca brouillent les genres. Comme si, peindre la femme en 2020, c’est finalement parler d’abord de l’humain, avant de distinguer un sexe.

Rebecca Brodskis femme brune lèvres rouges haut vertDES PORTRAITS DE L’ÂME

Pour Rebecca Brodskis, un portrait c’est avant tout « une réflexion de l’âme ». Curieusement peut-être, elle n’évoque pas l’idée de ressemblance physique ou la possibilité qu’offre le portrait de garder une trace d’une apparence à un moment donné. Elle parle tout de suite de l’âme, de l’être intérieur. L’artiste aime comprendre l’autre. À Berlin où elle a vécu, elle a même suivi un Master en sociologie, l’étude des relations sociales. Autre détail intéressant que l’on relève vite, Rebecca ne dit pas qu’elle peint des portraits, mais qu’elle peint les gens. Et précise que ce sont surtout les visages qui la passionnent. Du même bord que Cicéron donc, qui disait déjà il y a plus de 2 000 ans, « le visage est le miroir de l’âme ».

« La femme moderne n’est plus une simple domestique, elle est forte, indépendante et les portraits de femmes contemporains sont à son image »

Si Rebecca peint les hommes et les femmes, on a quand même souhaité l’interroger sur notre sujet du mois : le portrait de la femme et son voyage à travers le temps et les générations. Elle se spécialise dans le portrait en buste, où la tête a toute son importance Avec elle, on oublie le corps, qui n’est là que pour soutenir la tête. C’est le caractère de la personne qui doit ressortir. Ce qui compte ce sont les visages de ses femmes, centres de leurs émotions. Et sur le visage, il y a les preuves – ou les épreuves – de la vie : on parle des rides de vie, ces traits marqués, souvenirs des émotions passées et de nos expressions, si souvent répétées qu’elles marquent notre être physique. Pour l’artiste, les visages « sont des paysages infinis où tant de choses se racontent ». Rebecca peint les femmes et leur être intérieur, leurs pensées, leurs rêves… Leurs yeux clairs, brillants, presque lumineux. Verts ou gris. Leurs regards habités. Elle ne les cantonne surtout pas à leur apparence physique. Ces femmes portent un prénom, elles ont une identité ; Paula, Macha ou encore Lola sont loin d’être les « coquilles vides » qu’évoquait la peintre anglaise Venetia Berry dans l’une de nos interviews, pour dénoncer les nus historiques réalisés par certains artistes masculins. Que ces femmes soient des amies, des femmes croisées au hasard ou fictives, Rebecca veut montrer leur force et leur caractère unique. Elle admire d’ailleurs les portraits de Marlene Dumas, pour la « puissance » qui émane d’eux et se passionne pour leurs expressions vives et équivoques. La peintre sud-africaine, originaire du Cap qui elle, étudia la psychologie à Amsterdam. Savant mélange quand elle est mêlée à l’art.

Rebecca fait facilement le parallèle entre évolution du portrait et évolution de la place des femmes : si, comme on le rappelait dans notre dossier dédié, le portrait a beaucoup évolué, la place de la femme dans les sociétés occidentales a également radicalement changé. «  La femme moderne n’est plus une simple domestique, elle est forte, indépendante et les portraits de femmes contemporains sont à son image. Il ne s’agit plus de femmes aux cheveux longs se regardant dans leur coiffeuse ou avec leurs trois enfants et leur chien sur les genoux dans leur grande robe à volants.  Aujourd’hui, on dépeint la femme de façon plus brutale, plus vrai. », s’insurge l’artiste. Et son visage également.

femme au regard perçant et cheveux roux

« Pourquoi se limiter uniquement à l’aspect réel du sujet ? »

L’ABSTRAIT POUR LA Diversité

Ainsi, les portraits de Rebecca ne sont pas purement figuratifs. Bien sûr, on reconnaît la silhouette féminine avec ses cheveux, ses lèvres, son regard. Mais son style s’éloigne du réalisme pour en dire plus. « Aujourd’hui on a la photo pour ça, donc pourquoi se limiter uniquement à l’aspect réel du sujet ? », souligne la peintre. C’est bien la photo, aujourd’hui, qui a pris en charge cette vocation de « représentation exacte de la personne », pour reprendre les mots de notre peintre du jour. Alors pour Rebecca, autant aller plus loin par le portrait peint, montrer autre chose que simplement ce que l’on voit. L’artiste invite à ne pas avoir peur de « dépasser les limites du réel ». Pour exprimer plus. Et c’est à partir de là que le portrait s’engage.

« L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible », disait Paul Klee. Et l’heure est aujourd’hui à la multiplication des représentations de la femme. On veut rendre visible la diversité. « La représentation de l’humain peut être très subjective et si on se libère de l’idée classique du portrait cela nous permet d’accéder à un infini des possibles », ajoute Rebecca. Pour l’artiste, il n’y a donc pas de « vision juste » de la femme mais des visions subjectives. D’où l’art abstrait qui offre la possibilité de faire naître toutes les formes. Comme chez Picasso et ses femmes cubistes anguleuses, ou Ana Leovy qui peint la femme sans respect des dimensions et des proportions. Toutes les formes, même celles qui n’existent pas. « La forme parfaite ne m’intéresse pas », précise Rebecca. Car y a-t-il une forme parfaite ? « La différence n’est plus quelque chose qui fait peur, mais au contraire qui attire. Les femmes que je peins sont toutes très différentes, elles sont noires, blanches, asiatiques. Elles sont androgynes, rachitiques, ou bien en chair », poursuit la peintre. C’est la diversité de l’humain. « La libération du genre ». Homme ou femme, il est parfois difficile de le dire au premier regard en contemplant les portraits de Rebecca. Peindre la femme en 2020, c’est aussi ne pas la limiter à son sexe.

femme aux cheveux courts blonde haut noirLA FEMME, CET ÊTRE HUMAIN

Rebecca ne se restreint pas aux portraits de femmes. Elle peint aussi les hommes. Et quand on l’interroge sur la difficulté à peindre ce qu’elle n’est pas, sa réponse nous rappelle la dualité de notre question : « Je ne ressens absolument aucune différence en peignant des êtres hommes ou femmes. Je me sens humaine avant toute chose et je peins l’humain, de toutes les couleurs et sous toutes ces formes ». Homme comme femme, des êtres humains. De la même espèce d’homo sapiens. Ou « une espèce de primates originaire d’Afrique » dixit Google, toujours succinct.

À l’heure des réseaux  méga sociaux, et par notre métier de veille artistique, on s’habitue à voir des illustratrices féminines qui dessinent la femme. Elles parlent souvent de leur connaissance des courbes, veulent mettre en images ses combats, la peindre à travers leur regard bienveillant de semblable, de sœur. Jeanne Beuvin célèbre les Filles du surf. Jo-Anne Henderson, le courage des femmes surfeuses. Alice Wietzel les femmes, leurs seins nus et leur coup de soleil. Et l’on pourrait continuer la liste longtemps. Quand il s’agit de peindre l’homme, Venetia Berry est ferme : « Je n’ai pas grand-chose à dire sur le sujet car je ne suis pas un homme, tout simplement ». Pour Rebecca, « cette différence si catégorique entre les êtres n’a pas lieu d’être ». On se rapproche alors de certains artistes qui sèment le doute, mélangent les genres et les courbes. Comme le photographe allemand Peter Kaaden dans ses ultra gros plans de corps mêlés. Il n’existe plus d’homme ou de femme, seulement des parties tronquées de corps humain. Des poils, de la chair, de la peau. Ce qui nous composent tous fondamentalement, au-delà du genre. Ou comme la peintre Emily Ponsonby qui peint les femmes oui, mais en tant qu’espèce et pour célébrer avant tout « la beauté de l’existence », la beauté du « corps humain », quel qu’il soit, avec ses contours, ses textures. Ou encore Sophie Dhebercourt, cette artiste qui choisit l’abstraction et la déconstruction pour gommer les différences. Dans ses toiles, les deux sexes apparaissent dénudés. Leurs corps sont composés uniquement de cylindres, de cônes et de formes géométriques. Rebecca, elle, brouille les frontières entre abstraction et figuration et rapproche l’homme et la femme. Leur donne le même traitement. Peint la femme androgyne, l’homme efféminé. Et ajoute avec intelligence qu’il y a en chaque être humain une part de féminité et une part de masculinité. Les deux sexes sur un pied commun d’égalité. Dans la vie comme sur la toile.

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