Raphaël & Laurent Giannesini[FRA]

  • Photographie & Cinéma

Interview

Le 03.01.2023 par Julie Le Minor

Dans la Room des Frères Gia

On est allé à la rencontre des frères Giannesini dans leur nouvel espace d’expérimentation et d’exposition au sein de Poush Manifesto, l’épicentre de la nouvelle garde créative à Paris. Rencontre en deux temps.

salle. d'exposition composé d'une sculpture orange et d'une autre verte sur une chaise dans l'espace des Gia à Poush Manifesto

L’ainé se nomme Raphaël, en hommage à l’illustre peintre italien de la Renaissance, le cadet, Laurent, comme le célèbre mécène florentin. Dès leur naissance, le tropisme artistique et italien des frères Giannesini (un nom d’origine corse) ne pouvait en être autrement. Leur existence, liée par le lien sacré de la fratrie, serait guidée par la passion de l’art, l’architecture ensoleillée de Sienne ou de Florence et la quête de la création. Le premier, né en 1987, passe par les rangs du collège Central Saint Martins de Londres, le second, né en 1991, est diplômé de l’université Simon Fraser à Vancouver. À eux deux, ils sont curateurs, scénographes, photographes et directeurs artistiques. Forts d’une expérience professionnelle singulière, Raphaël, en tant que commissaire d’exposition et Laurent, en tant que photographe, ils revendiquent aujourd’hui une pratique créative interdisciplinaire qui se résume à une pièce où nous nous rencontrons pour la seconde fois, par une après-midi de novembre à Poush Manifesto.

Tout reste donc encore à créer

On rembobine. En septembre 2022, nous découvrons les frères Gia dans ce qui sera leur futur bureau et espace d’exposition. À cet instant, la pièce est recouverte de gravats et de matériaux, les travaux vont bientôt commencer mais il est encore difficile d’imaginer à quoi cela pourrait bien ressembler. Deux mois plus tard, nous revoilà dans une pièce immaculée, un white-cube incarné où s’expose pour la première fois la série singulière de l’artiste Melchior de Tinguy, dont les œuvres hybrides, essentiellement en silicone, sont à la croisée de la peinture et de la sculpture. « Il applique au travail de peinture, le geste du sculpteur, et inversement », résume Raphaël. Après l’expérience de la Gia Room dans l’ancien Poush, les frères ont dû entièrement imaginer et concevoir le lieu : « Contrairement à la Gia Room, où nous partions d’un espace domestique établi pour intégrer les œuvres des artistes exposés, cette fois, on part de l’œuvre pour l’inscrire dans le décor qui lui convient le mieux. Tout reste donc encore à créer ».

Oeuvre de Melchior de Tinguy comme un cendrier bleu sur un banc en bois

Aussi loin qu’ils s’en souviennent, Laurent et Raphaël ont baigné dans l’art et la culture. Leurs parents évoluent tous deux dans des univers créatifs. Et au fil des ans, le tandem se crée un imaginaire commun ponctué de souvenirs parisiens, où ils grandissent, et de vacances italiennes, la terre d’adoption familiale, comme à Sienne où ils ont été baptisés. « Un baptême symbolique », précisent-t-ils toutefois en riant. Forts de cette grammaire commune, ils bâtissent une solide connaissance de l’art, de la photographie et de la mode, et une imagerie riche et fructueuse, comme en témoigne aussi leur collaboration ponctuelle avec des marques comme Carel ou Rouje. Grâce à leur vision et leurs univers aussi singuliers qu’étranges, presque mystiques, et grâce à une énergie décuplée, les deux complices multiplient les commandes et les projets. « Tu dis toujours les choses plus fortes quand tu les dis à deux », souligne ainsi Raphaël.

ils sont décidément complémentaires.

Le duo est en effet détonnant. Quand on leur demande de parler de style, ils décident chacun de décrire l’autre. Ce qui donne en résumé : « Raphi a un style très british, influencé par ses années à Saint Martins dans les années 2010. Il porte souvent un long imperméable, un pantalon de style anglais, sans oublier son amour des chaussettes bicolores – entendez par là dépareillées – et des mocassins. Il faut préciser aussi qu’il porte toujours une touche de vert sur lui », explique Laurent, très sérieusement. « Le vert du pub certainement », répond Raphaël, en souriant. « Moi, c’est le bleu », reprend son frère. Car c’est c’est une couleur qui met de bonne humeur. « Oui, Laurent a un look plus fonctionnel et je dirais qu’il oscille entre deux styles : américano-italien. Il aime les grands trenchs, les chaussures parfaitement cirées et il est toujours apprêté, ce qui ne l’empêche pas pour autant de porter une grosse veste polaire et des Birkenstock, comme aujourd’hui », poursuit Raphaël. Le Canada, certainement. À voir le look parfaitement maîtrisé de ce duo, on se dit qu’ils sont décidément complémentaires.

Les freres Gia assis devant une sculpture orange de Melchior de Tinguy

Après le salon cossu au mobilier modernistes des années 50, 60 et 70 avec lequel ils faisaient dialoguer les œuvres d’artistes contemporains dans la Gia Room, leur nouvel espace modulaire à vocation à évoluer au gré des évènements et curations à venir. « À la fois lieu d’exposition, de conversation et studio de création, on peut imaginer y faire des conférences, des concerts ou même des performances », explique Laurent. « On a pensé ce lieu en créant une scène centrale, comme un fil conducteur entre les expositions et artistes, un point d’ancrage destiné à évoluer et sur laquelle les œuvres et les personnes sont elles aussi amenées à bouger ». Les deux complices ont ainsi imaginé ce lieu artistique comme une capsule hors du temps, un lieu de rencontres et de bouillonnement artistique destiné à mettre en lumière une nouvelle génération de créatifs qui travaille directement en relation avec l’objet dans toute son ambiguïté : artistique, domestique ou familier.

les frères Gia trace leur route

Dans cet espace hybride où nous discutons avec eux, et qu’ils utilisent aussi comme un lieu d’expérimentation, un laboratoire, le duo nous livre sa vision. « Notre travail consiste à faire émerger ces nouveaux talents en les rendant visibles », poursuit Raphaël. Pour choisir ceux avec lesquels ils collaborent, il se laisse guider par l’artistique et le feeling. « On aime travailler avec un cercle resserré d’artistes, ce qui permet d’avoir une certaine homogénéité dans ce que l’on présente. Tous partagent cette volonté de questionner l’époque actuelle et s’interrogent sur les moments que l’on traverse ou sur le sens que l’on peut leur donner en tant qu’artiste et créateur. Ce sont des idées, qui nous parlent en tant qu’artiste et individu et que nous souhaitons relayer à travers cette pièce ». Dans cette nouvelle pépinière d’artistes encore en devenir, les frères Gia trace leur route avec une certaine flegme britannique, un charme très parisien et la discrétion de ceux qui ont trouvé leur voie et qui ont le temps de le montrer.

Oeuvre en silicone vert de Melchior de Tinguy dans l'espace des freres Gia à poush Manifesto

Détail d'une oeuvre orange de Melchior de Tinguy Les freres Gia durant l'interview avec notre journaliste Julie Le Minor Laurent et Julie devant une oeuvre de Melchior de Tinguy dans l'espace des Gia à PPoush Manifesto

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