Feu! Chatterton[FRA]

  • Musique

Interview

Le 08.06.2018 par Juliette Mantelet

Oh oui ! Tafmag a réussi à capturer les oiseleurs de Feu! Chatterton pour un court instant de poésie, entre leurs nombreuses interviews et leurs concerts en bataille, pour s’arrêter en leur compagnie sur la fugacité de l’amour, les maux de notre époque et leur nouvel album, « L’Oiseleur », où ils attrapent les souvenirs heureux pour les garder en mémoire. 

 

OVNIS MUSICAUX

« Enfin un groupe qui m’a fait ouvrir un dictionnaire », « À écouter d’urgence pour tout amoureux de la langue de Molière », « Vous êtes la preuve que certains artistes français savent encore faire de la vraie musique », « La poésie française contemporaine c’est ça ! » peut-on lire dans le flot des commentaires ponctuant les clips du groupe.

Les cinq garçons dans le vent de Feu! Chatterton sont un peu les nouveaux poètes d’aujourd’hui, maniant la langue avec précision et analysant notre société avec finesse, tout en citant avec classe les Romantiques ou Apollinaire. On avait presque oublié que les chansons de nos jours pouvaient encore contenir de si beaux textes. Après un premier disque sorti en 2015, « Ici le Jour (a tout enseveli) », ils reviennent de plus belle, après une pause productive, avec « L’Oiseleur », un nouveau disque tout en mélancolie positive qui invite à prendre le temps dans notre monde où tout va si vite. Si ces cinq-là ont bien réussi à capturer quelque chose, c’est l’art de manier les mots et de composer des mélodies percutantes et entraînantes, à l’image de « La Malinche », qui depuis 4 ans ne nous est jamais vraiment sortie de la tête.

Place à une interview qui vole haut avec ce groupe, qui n’est certes plus vraiment émergent, mais refuse catégoriquement de se considérer, déjà, comme un vieux groupe, malgré leur succès indéniable, et surtout, qui analyse avec justesse le paysage musical actuel.

RENCONTRE AVEC FEU! CHATTERTON

A = Arthur Teboul / C = Clément Doumic / S = Sébastien Wolf /
A = Antoine Wilson / R = Raphaël De Pressigny

VOUS ÉVOLUEZ DANS LE MONDE DE LA MUSIQUE DEPUIS UN PETIT MOMENT. QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR LA SCÈNE MUSICALE ACTUELLE ?

S. C’est vrai qu’on en a vu deux visages. D’abord le moment où on a commencé, où on n’était pas du tout connus, on jouait dans notre cave. C’était le début de la scène avec Lescop, La Femme, Fauve. Il y avait toute une scène comme ça qui arrivait et nous on faisait de la musique en français. Beaucoup de gens à l’époque nous disaient : « C’est bizarre de faire de la musique en français ». Et puis c’est devenu comme ça assez populaire. Maintenant, on voit que c’est assez différent. Il y a un mélange de styles entre le hip-hop, la chanson, le rock, et ça a vachement évolué. Maintenant c’est normal de raconter des histoires, d’écrire des textes en français, de faire de la musique et d’essayer de parler directement aux gens.

A. Ce qui est marrant aussi, c’est que quand tu le dis, on repense à tout ça. C’était il n’y a pas si longtemps, sept ans, mais les choses passent très très vite. C’est très liquide, très évanescent. Parce que cette vague de pop française qui est arrivée, on pensait qu’elle allait durer longtemps, et là on est déjà dans une autre vague, plus urbaine. Quand on s’isole un an pour faire un disque, on n’a pas l’impression que quand on va revenir tout aura changé autour de soi, et en fait c’est le cas. Même la façon dont les gens s’approprient la musique, comment Internet a changé les choses, comment Instagram est arrivé. Tout ça a l’air assez périphérique mais en fait aujourd’hui ce sont des choses qui sont au cœur du rapport au public. C’est un paysage très mouvant, c’est assez excitant.

VOUS PARLEZ DE LA RAPIDITÉ, MAIS POUR VOUS JUSTEMENT
C’EST AUSSI ALLÉ TRÈS VITE ?

S. Aujourd’hui la musique, ça va tellement vite, que dès que tu as fait un disque et que tu as eu un peu de succès, tu es tout d’un coup considéré comme quelqu’un de vieux. Alors on espère qu’on reste quand même connectés à ce qui se fait encore aujourd’hui. Je pense que c’est le cas, on écoute beaucoup de choses qui se font en ce moment, et on est impressionnés par tout ce qui sort ces derniers temps.

A. On est au deuxième disque, on a déjà des gens qui sont là et qui aiment notre musique et on sent encore tout ce qu’on peut accomplir. On découvre encore la scène, le métier du corps et la technique. C’est incroyable la musique, c’est un chemin si vaste, si long qu’on aura toujours quelque chose à apprendre et qu’on sera toujours curieux de ça. Le jour où cette envie s’arrête, où on a l’impression d’être arrivé au bout, je pense que tout devient asséché, ce n’est pas intéressant.

ÇA VOUS FAIT QUOI D’ÊTRE PRIS PARTOUT COMME RÉFÉRENCE,
DE LIRE QUE VOUS ÊTES, JE CITE, « LE PLUS LETTRÉ DES GROUPES DE ROCK » ?

S. Ça fait plaisir, c’est difficile de dire le contraire ! (Rires).

A. Je ne vois pas de quoi tu parles (Rires).

S. Oui ça fait plaisir mais d’un autre côté ça peut faire un peu bizarre aussi. Parce qu’on ne se considère pas du tout comme une référence pour l’instant, parce qu’on reste encore un groupe qui a des phares. Il y a des grands artistes qui sont vraiment des idoles pour nous. Mais après, peut-être qu’eux aussi ne se considèrent pas comme des vieux.

C. On est surtout une référence pour nous-mêmes ! (Rires).

A. Je pense surtout qu’on est tous les cinq très exigeants, les uns envers les autres et avec nous-mêmes. Ça nous protège de l’orgueil, on reste humbles. Même quand on est contents de ce qu’on a fait on se dit : « Ah ouais, mais ça pourrait être mieux, toujours mieux ». Et ça, ça nous pousse à vraiment chercher. Ce qui nous plaît dans ce chemin, c’est que la musique, c’est une aventure en soi. Ce n’est pas un moyen d’obtenir quelque chose, ce n’est pas un moyen d’arriver quelque part ou de devenir quelqu’un. C’est en la faisant qu’on s’accomplit, donc pourvu que cette exigence reste et qu’on se dise toujours : « Mince on n’est pas allés au bout de ça », « On peut mieux chanter ou on peut mieux écrire » ! On se le dit tous les jours. Je pense que c’est cette exigence envers nous-mêmes qui fait qu’on peut être un peu considérés comme les phares de cette scène (rires).

« La musique, c’est une aventure en soi. »

PARLEZ-NOUS UN PEU DE CE NOUVEL ALBUM,
POURQUOI CES RÉFÉRENCES RÉCURRENTES AUX OISEAUX ?

A. On n’a pas fait exprès ! Sans rire.

R. On l’a découvert après. À la fin de l’enregistrement, quand on a commencé à chercher un titre, on a réécouté l’album et on s’est rendu compte qu’en fait les oiseaux étaient dans plusieurs morceaux de l’album, et vu que le mot « l’oiseleur » était déjà présent dans un texte d’Arthur auparavant, on s’est auto-analysés après coup.

A. Oui, c’est ça qui est drôle. Je parlais du chemin, de l’aventure collective, de la quête de soi. Les chansons, quand on les fait, et j’imagine qu’il y a peut-être d’autres métiers d’artisanat qui sont comme ça, tu fais quelque chose, il y a des courts moments où tu réfléchis à ce que tu es en train de faire, mais le reste du temps tu es porté par une intuition, le plaisir, une sorte de joie à le faire. Et donc tu ne comprends pas vraiment ce que tu es en train de faire. Une fois que c’est fini, tu te dis : « Ah c’est ça ce que ça dit de moi ». L’inconscient agit beaucoup. Et donc une fois que les chansons étaient là sur la table, on s’est rendu compte qu’elles étaient traversées par ces oiseaux. Mais un peu par hasard. Comme elles sont traversées par le souvenir, un peu par hasard. Comme elles sont traversées par l’absence des êtres aimés, un peu par hasard. Et après on aime bien remettre du sens dans ce qui était chaotique. Donc on capture ces signes hasardeux et puisqu’on les capture, on devient un peu des oiseleurs.

« On aime bien remettre du sens dans ce qui était chaotique. »

IL Y A UNE AMBIANCE TRÈS MÉLANCOLIQUE DANS CET ALBUM, POURQUOI ?

C. Après la première tournée nous avons eu une rupture un peu dans nos vies. Parce que nos vies avaient complètement changé, à cause ou grâce à la musique. C’est Arthur qui a écrit les textes de cet album et nous avons tous vécu des ruptures, à la fois de vie et sentimentales. Et avec l’écriture de l’album et les musiques qui se sont agrégées par-dessus, nous nous sommes rendu compte après qu’il y avait cette mélancolie qui nous berçait tous les cinq. C’était un peu un catalyseur pour la création de cet album. C’est un truc que nous avons vu aussi après coup, que ces textes résonnaient beaucoup en nous cinq. Je pense que ça a permis aussi de créer cet album vraiment de manière collective.

A. Après je voudrais souligner quand même que c’est pour nous une mélancolie très lumineuse. Le premier disque, c’était une mélancolie plus romantique, plus noire. C’est important ! Nous parlons de rupture mais nous parlons surtout d’un nouveau chemin dans nos vies, par l’âge et l’expérience que nous commençons à avoir de notre métier. Sentir ce moment où les choses changent mais où on l’accepte. Plus jeune, peut-être que quand les choses changent sans qu’on s’y attende, on s’accroche à ce qu’on connaît déjà, on a peur de se perdre. Et là, c’est pour ça que je parle de cette lumière, les choses s’éloignaient de nous, et nous du rivage, mais on pouvait dire au revoir à cet endroit sans peine, en se disant que nous avions vécu un beau moment et que ça resterait en nous comme un beau souvenir.

MAIS QUAND VOUS PARLEZ D’AMOUR, C’EST SOUVENT D’UN AMOUR TRISTE. ET J’AI L’IMPRESSION QUE DANS NOTRE GÉNÉRATION D’ARTISTES, C’EST SYMPTOMATIQUE DE CHANTER L’AMOUR MALHEUREUX. QU’EN PENSEZ-VOUS ?

A. Non, je ne dirais pas ça. Dans le sens où justement une histoire d’amour, c’est l’occasion de vivre de belles choses et quand ça s’achève, car souvent ça s’achève, et ça je ne pense pas que ça dépende de la génération, soit on décide de s’apitoyer et de se complaire dans la tristesse parce qu’on a perdu quelque chose de beau, soit on se souvient qu’on a vécu quelque chose de beau. Donc je ne dirais pas que c’est violent, douloureux ou malheureux. Je pense que c’est plutôt voir comment on reste avec ce qu’on n’a plus. Ce qui est beau aussi dans l’amour, c’est que ce n’est pas un contrat éternel. Si on se rappelle qu’on est deux oiseaux libres, qui à un moment se rencontrent, à chaque instant qu’on passe ensemble on se dit, « quel miracle qu’on ait envie d’être ensemble » et c’est une joie très pure. Et puis si ça s’achève, alors souvenons-nous qu’à un moment, on l’a été, ensemble.

« Ce qui est beau aussi dans l’amour, c’est que ce n’est pas un contrat éternel. »

DONC ON PARLE TOUJOURS DE L’APRÈS, DE L’ABSENCE, MAIS PAS DE L’AMOUR QUAND IL EST LÀ. C’EST ÉTRANGE NON ?

A. Je  pense que ça n’est pas lié au bonheur ou au malheur. C’est simplement qu’il y a le temps de vivre et le temps de témoigner de la vie. Et quand on vit, notamment l’amour, et qu’on le fait, on n’a pas le temps d’en parler.

R. Et même pas besoin !

DU COUP ON NE PEUT EN PARLER QUE QUAND IL EST PARTI ?

A. Oui, comme on parle du bonheur, mais quand il est parti. Je pense que cette mise à distance, c’est le seul moyen, pour moi en tout cas, d’écrire correctement. Et c’est ce qui est très inquiétant, même si on plonge aussi dedans, avec les réseaux sociaux et toutes ces médiations qu’on met avec le monde. On vit une chose et instantanément on voudrait la partager, la commenter et en témoigner. Du coup on en témoigne d’une manière assez vaine. Parce que ce qui est beau, ce n’est pas de vivre la chose en se mettant en scène en train de la vivre, c’est de la vivre et de ne pas savoir ce qui nous arrive. Comment commenter une chose qu’on n’arrive même pas à définir ? On ne sait même pas ce qu’on vit quand on le vit. Parfois une chose nous plaît et il ne faut pas nous demander pourquoi elle nous plaît. On ne sait même pas nous-mêmes ce qui nous attire dans une personne, dans un objet, dans un parfum, dans une couleur. Ce sont des choses comme ça qui prennent le temps de mûrir et qui sédimentent. Et ce temps-là, c’est aussi un combat aujourd’hui où tout est fluide, tout est rapide. C’était important pour nous, c’est une des seules choses qu’on s’est dites pour ce disque. Tout a été très libre, mais il y a un moment où on s’est dit : c’est important de prendre le temps et de dire aux gens de prendre le temps. C’est la seule once de combat, presque politique. L’album demande à un moment de bien vouloir prendre le temps, et si tu t’arrêtes dessus, peut-être que la porte s’ouvrira et que tu pourras plonger dans un espace-temps plus suspendu, et dans une certaine volupté.

« Ce qui est beau, ce n’est pas de vivre la chose en se mettant en scène en train de la vivre, c’est de la vivre et de ne pas savoir ce qui nous arrive. »

EST-CE QUE VOUS DIRIEZ QUE LES CHANTEURS SONT LES POÈTES D’AUJOURD’HUI ?

A. Je fais une distinction entre la poésie et la chanson dans le sens où la poésie est graphique, c’est de la littérature, c’est fait pour être lu alors que les chansons sont faites pour être entendues. Du coup, ça n’est pas exactement la même discipline. Mais le lien s’est fait peut-être, maintenant que la musique est aussi démocratisée et qu’on a accès toute la journée à la musique. À l’époque, les saltimbanques devaient bouger de place en place, mais il y a toujours eu ce rôle de la parole. Et aujourd’hui, c’est vrai que c’est tellement diffus que oui, celui qui chante, c’est le poète. Je pense même que ce sont aujourd’hui les rappeurs plus que d’autres formes de chants, parce que c’est le rap est la chanson la plus populaire. C’est un format dans lequel le public est prêt tout de suite à entendre un discours. Quand tu écoutes de la pop, tu es surpris si on t’adresse un discours différent. Dans le rap, il y a cette connivence entre l’auditeur et celui qui chante. Donc je dirais que oui.

VOUS PENSEZ QU’APOLLINAIRE C’EST TOUJOURS UNE RÉFÉRENCE
POUR LES JEUNES DE NOS JOURS ?

A. Oui, on le pense, parce que quand on lit Apollinaire, des poèmes qui datent de 1910, on les lit et ils résonnent tellement dans l’actualité. Ils sont tellement contemporains, parfois plus modernes que plein de chansons d’aujourd’hui, alors même qu’ils utilisent des références ou des noms, des moments, qui nous échappent parfois. Mais ils résonnent profondément. Dans le rap, il y a plein de textes qui sont si intempestifs et dans l’actualité qu’on se dit, « mais demain personne ne comprendra rien ». Il y a des références, le « name dropping » d’un sombre ministre pour une affaire d’état qui sera oubliée dans un mois. On sait très bien que cela va périr, qu’il y a une date de péremption. Mais pourtant ça n’est pas ça qui reste. Parce que ces mots-là, ces références-là, elles ne sont qu’un des vecteurs de l’émotion de la chanson. Ils deviennent des petits mystères que tu peux percer et qui te raccrocheront au passé des hommes.

RÉCEMMENT, LA PLUPART DES GROUPES RETOURNENT À UN UNIVERS PLUS NAÏF, EN DÉLAISSANT LE SOIN DES TEXTES. EST-CE QUE VOUS AVEZ L’IMPRESSION D’ÊTRE LES SEULS À CONTINUER
CE TRAVAIL SUR LES MOTS ?

A. Après c’est vrai qu’en regardant le paysage actuel, et on s’y intéresse vraiment beaucoup car on aime sentir qu’il y a une communauté d’artistes, dans ce sillon-là de la chanson poétique moderne, il n’y a pas grand monde. Ce qui revient le plus, c’est une sorte de néo-variété, plus inspirées par les textes naïfs. Je pense à The Pirouettes, Juliette Armanet. On pourrait dire qu’ils assument la variété. C’est pas du tout notre branche, on n’écoute pas cette musique même si on la trouve très belle, elle ne résonne pas en nous aussi profondément que Gainsbourg ou Baschung. On pense surtout que c’est une affaire de cycle. Quand on a commencé, on était une nouvelle vague de rock français, on nous disait qu’on était à la pointe d’une nouvelle scène. Seulement deux ans plus tard, la mode est désormais au rap urbain et on nous dit que le rock a disparu, mais cela reviendra. Tout est cyclique.

VOUS SUIVEZ LA SCÈNE MUSICALE ACTUELLE, QUI SONT LES ARTISTES QUE VOUS AVEZ ENVIE DE SOUTENIR ?

A. Je pense à Flavien Berger, on aime beaucoup son premier album. Super disque !

C. Dans les textes, Flavien Berger, c’est quand même assez travaillé. C’est une langue qui est plus naïve mais les textes sont assez travaillés pour que tu aies envie de les écouter et de comprendre ce que ça raconte. Tu as envie de les réécouter aussi pour le texte.

A. Un groupe aussi qui a ouvert sur scène pour nous ces derniers temps qui s’appelle Catastrophe, un groupe assez dingue, un peu expérimental mélangeant l’anglais et le français avec une sorte de folie et l’ambition de surprendre. Et une fille qui s’appelle P.r2b dont on aime une chanson qui s’appelle « Ocean Forever », très électronique mais en même temps une voix hyper chaude, avec une mélodie suave et assez lyrique. Ce sont des groupes que l’on vous invite à écouter !

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