Lisa Boostani[FRA/IRN]

  • Photographie & Cinéma

Interview

Le 12.02.2019 par JULIETTE MANTELET

Entre Iran, psychédélisme, standardisation américaine et surréalisme, le monde imagé de Lisa Boostani est riche et haut en couleurs. Des couleurs léchées et acidulées qui donnent la joie de vivre. Lisa est photographe, elle a, entre autres, réalisé plusieurs séries en Iran, le pays de son père. Dans ses clips, car Lisa est aussi vidéaste, on assiste à une véritable explosion de couleurs, folles et amusantes, autour desquelles elle se met aussi régulièrement en scène. À travers son art, la jeune femme tente en permanence de répondre à une question essentielle qui parcourt sa vie : « Comment trouver la magie dans le quotidien ? »

« THE WELL COSMOS »

Parmi ses plus grandes inspirations artistiques, Lisa cite les grands maîtres du surréalisme, Dalí, André Breton ou encore Buñuel. Comme eux, Lisa souhaite travailler autour « des états de conscience modifiés », parler dans son œuvre du rêve, de la transe et de la méditation. Son but final : « révéler l’âme » en créant un monde « onirique, psychédélique et joyeux ». Son art est un art porté sur les effets visuels, les perceptions et les sensations, où l’on ne comprend pas toujours tout au premier regard et où chacun est libre de se faire sa propre interprétation.

Lisa veut aller encore plus loin et « faire des choses qui dérangent », questionner et repenser les normes à travers un monde plus absurde et plus spirituel. Cette mission elle la mène notamment à travers « The Well Cosmos », un monde imaginaire utopique qu’elle a inventé il y a 3 ans après un « éveil de conscience personnel ». Pour ce projet Lisa réalise de nombreuses vidéos où elle se met en scène, libre, le corps en mouvement, décomplexée. On la voit par exemple danser et faire le poirier dans le métro… À travers ces petites scènes, elle critique « la société moderne déshumanisée » et propose une nouvelle façon de vivre plus libre et plus folle : « J’ai du mal à faire des choses gratuites, produire des projets sans sens. J’essaie d’aller plus loin et comme je me pose énormément de questions, j’aimerais que les gens le fassent aussi à travers mes œuvres » explique l’artiste.

Et même lorsqu’elle réalise des clips pour des artistes musicaux, Lisa nous fait à nouveau plonger dans cet univers. L’un de ses derniers clips, « In Your Company », réalisé pour le duo Coming Soon a été entièrement tourné en Inde pendant l’un de ses voyages personnels. Elle y retrace sa quête spirituelle de Shiva, de Pondicherry aux Himalayas. La jeune femme a été bouleversée par ses voyages en Inde, par l’harmonie des couleurs et surtout par la représentation des dieux. « En termes de spiritualité l’Asie c’est autre chose », explique l’artiste, qui raconte se sentir incomprise en France où, dès que l’on aborde ces sujets, « on a tendance à paraître illuminée ». Lisa se décrit d’ailleurs comme une « digital preacher » sur son compte Instagram. Ce clip en Inde avait pour but selon elle de traiter la spiritualité avec distance et humour. Il résumait son voyage en se basant sur des événements réels. Toutes les personnes présentes dans le clip sont en effet des personnages qu’elle a rencontrés, car « The Well Cosmos » c’est aussi ça, être dans la vérité et non l’apparence et la superficialité.

ENTRE IRAN & RÊVE américain

L’univers de Lisa est aussi très cinématographique, on y retrouve l’influence des cinéastes qu’elle admire de Jim Jarmusch à Wim Wenders sans oublier le plus important, David Lynch. « Je suis fascinée par le rapport qu’il pose sur le réel, sa façon de traiter la couleur » analyse Lisa. Elle poursuit : « David Lynch reste ma plus grande inspiration. Je le trouve très psychédélique dans son travail avec l’inconscient et le rêve. On ne comprend pas toujours tout ce qu’il se passe dans ses films, il y a une part d’interprétation. Et son esthétique ultra léchée, très standardisée, cette esthétique américaine m’a aussi beaucoup inspirée ». Si Lisa est à moitié iranienne, les États-Unis sont aussi pour elle une immense source d’inspiration. Petite, ce sont des photographes comme Stephen Shore ou William Eggleston qui l’ont marquée. Aujourd’hui, Lisa recherche dans ses vidéos et dans ses images cette esthétique américaine éternelle, cette standardisation à la Californienne composée de motels, de stations essences abandonnées. « Le rêve américain me fascine » explique-t-elle. « Même quand je tourne en France, j’essaie de créer un imaginaire qui ressemble à la Californie et ses espaces types ».

Dans sa série de photos sur les paysages d’Iran, Lisa a aussi cherché à se reconnecter à cette standardisation américaine. Elle a souhaité montrer dans ses images : « comment, à travers des cultures très différentes, le rêve américain est toujours présent ?« . En Iran, il s’incarne sous sa caméra à travers les voitures, les néons, les vitrines des magasins…

« As Tehran to Paris »

Lisa a photographié les femmes iraniennes dans sa série « As Tehran to Paris », une série mode faisant dialoguer modernité et tradition, immortalisant des femmes en tenues traditionnelles armées de leur smartphone et de lunettes de soleil. Une série souhaitant aussi montrer le potentiel esthétique des femmes iraniennes et de leurs tenues. Lisa est fascinée par ce pays contradictoire, « à la culture si riche et la politique si particulière ». Un pays où se rendre n’est pas toujours évident pour elle et où Lisa ressent une forte pression, notamment dans la rue, où on la reprend dès que son châle tombe un peu. Quoiqu’il arrive, Lisa reste passionnée par ce pays où l’accueil est une valeur fondamentale et éblouie par la langue et la poésie iranienne pleine d’images et de métaphores. « Je suis encore en exploration avec l’Iran », décrit Lisa. La prochaine fois qu’elle y séjournera, elle aimerait s’intéresser à la condition des artistes dans le pays et au pouvoir de la contrainte sur la création..

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