Les Filles du Surf[FRA]

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Chronique

Le 22.04.2020 par Juliette Mantelet

Les Filles du Surf, montrer une autre vision des surfeuses que des bonnasses sur une planche

Le surf a toujours été considéré comme un sport plutôt masculin. Comme on le précisait dans notre dossier dédié à la déferlante artistique liée au surf, il était même destiné aux rois, aux chefs de tribus hawaïens qui s’affrontaient en prenant la vague. Bien plus tard, dans les grands films hollywoodiens, ce sont les surfeurs qui sont célébrés. Les hommes sont sur les planches, les filles sur la plage. Alors, c’est qui les surfeuses ? On s’est penchées sur ces mythes avec Jeanne Beuvin, surfeuse, illustratrice et fondatrice du compte Les Filles du Surf, qui montre autre chose que des bonnasses sur une planche.

LE SURF, UN SPORT DE MECS ?

À l’époque où le surf se démocratise dans le monde, il était encore rare pour les femmes de se baigner et encore moins de se dévoiler en maillot de bain. Le patriarcat rappelle alors trop souvent que « la place des femmes est à la cuisine ». Pas sur une planche de surf. Bref, on connaît l’histoire, il a fallu du temps pour que les femmes se frottent aux corvées masculines, et encore plus à leurs hobbies. Au fil des décennies, des sportives remarquables tombent amoureuses du sport de glisse et se battent pour casser les codes, donnant alors envie à d’autres de se jeter dans le bain. La première femme à faire parler d’elle, c’est Margo Oberg. En 1977, elle devient la première championne du monde de surf. Plus tard, dans les années 1990, c’est Lisa Andersen qui marque les esprits. Ne supportant pas que le surf féminin ne soit pas reconnu à sa juste valeur, elle concourt sur le circuit professionnel masculin. Elle sera la première femme à faire la couverture du célèbre Surfer Magazine, contribuant ainsi à féminiser la pratique aux yeux du grand public, encore frileux.

Comme dans de nombreux domaines de la vie, le surf n’échappe pas à un manque cruel de parité. En 2019 encore, 28 000 femmes sont licenciées à la Fédération française du surf contre 52 000 hommes. On parle aujourd’hui de 17 à 35 millions de surfeurs actifs dans le monde parmi lesquels on compte seulement 19 % de femmes. Les clichés ont donc la vie dure. Pourtant, on semble tourner une page avec des petites victoires qui encouragent. Comme celle-ci : depuis 2019, les surfeuses professionnelles touchent des primes égales à celles des hommes. Un changement notable commenté par Kelly Slater, le grand champion masculin : « Les surfeuses du circuit mondial méritent cette réforme, je suis si fier que le surf ait choisi de donner l’exemple dans le sport pour l’égalité et la justice ». Puis, il y a aussi l’entrée du surf aux JO de 2020, en tant que sport additionnel, qui permettra aux hommes comme aux femmes de briller sur l’eau. Quant aux JO de 2024, on attend l’épreuve organisée par la France sur le site mythique de Teahupoo, à Tahiti. Une nouvelle occasion pour les femmes de prendre leur revanche puisque cette légendaire vague, l’une des plus puissantes et périlleuses du monde, a longtemps été écartée des tours professionnels féminins.

Pour Jeanne Beuvin, notre illustratrice du jour et surfeuse, il y a de « vrais progrès » à noter, malgré toujours certaines inégalités en compétition et un plus grand nombre d’hommes qui pratiquent. Pour elle c’est sûr, « les femmes s’y mettent et elles gèrent ». À Biarritz, où elle est installée, Jeanne ne ressent aucune difficulté à s’intégrer au Peak et trouve même les hommes plutôt « galants » sur les priorités. Les femmes surfeuses se montrent plus, prennent plus de place, et tant mieux. Mais on tombe dans un autre écueil : elles attirent les marques et les sponsors qui continuent pour la plupart à vouloir renvoyer l’image de la surfeuse sexy.

LA SURFEUSE, COINCÉE entre LES diktats Du corps

Quand on tape le mot surfeuse sur Google, le premier résultat sur lequel on tombe est le suivant : « Attention les yeux : voici les surfeuses les plus sexy au monde ». Alors bien sûr, le culte du corps et du cul, ça rapporte. Et la surfeuse est bankable. C’est « une sirène dotée d’atouts physiques avantageux » peut-on lire dans un article de Slate. La surfeuse continue d’incarner un idéal de beauté. Elle est jeune, svelte, blanche, sportive mais pas trop musclée, bronzée. Elle a une cascade de cheveux blonds et longs, toujours détachés. Comme si c’était pratique pour surfer. Puis elle choisit le bikini plutôt que la combi. Oui, la surfeuse n’a jamais peur de riper.

On se rappelle quand même Blue Crush, sorti en 2002, où les deux surfeuses incarnées par Michelle Rodriguez et Kate Bosworth, sont belles mais aussi douées. Ça alors ! Ou le plus récent Instinct de survie (2016), dans lequel Blake Lively et sa crinière parfaite incarne Nancy, surfeuse en solitaire attaquée par un requin blanc. Danielle Lyons, surfeuse américaine constate : « À travers les nombreux films que j’ai vus, la façon de vivre des surfeuses m’a toujours fait rêver. Mais je n’en voyais jamais qui me ressemblaient physiquement ». Silvana Lima, double vice-championne du monde confirme, les sponsors privilégient les surfeuses aux physiques de rêve : « Je ne ressemble pas à un top model, je ne suis pas une poupée. Je suis une surfeuse professionnelle mais les marques de surf veulent des femmes qui soient à la fois mannequins et surfeuses. Et quand vous ne ressemblez pas à un mannequin, vous ne trouvez pas de sponsor. » On rappelle ici que Silvana Lima a été élue 8 fois meilleure surfeuse du Brésil.

Mais heureusement, le surf et l’art du surf n’échappent pas à la vague féministe du body positivisme et à la volonté contemporaine des femmes et des artistes de casser les mythes et de montrer la diversité, les vraies femmes. Comme Jeanne. Avec ses illustrations numériques en flat design qu’elle diffuse sur son compte Instagram Les Filles du Surf, elle donne une tout autre vision de la surfeuse. Celles qu’elle imagine sont souvent brunes, elles ont des « formes généreuses », des corps arrondis. Pour l’illustratrice, il n’est tout simplement pas possible de résumer la femme surfeuse à une seule vision. « Ça n’a aucun sens ». Ce serait aussi absurde que de penser qu’il n’y a qu’un seul type de femme sur la planète. Jeanne a lancé son compte au départ sans visée féministe. Et puis, au fur et à mesure, elle a réalisé qu’il y avait toujours un vrai stéréotype autour des surfeuses et s’est mise à arrondir les corps. « Je me suis dit que ça apporterait un peu de renouveau dans la représentation de la femme surfeuse ». C’est d’ailleurs ce qui nous a séduites dans son travail. On se sent plus proches de ses surfeuses, rigolotes et joyeuses. C’est touchant aussi de lire les commentaires des femmes sous chacun de ses posts. Comme celui-ci, qui nous a particulièrement plu : « Cette année pour mes 50 ans je me lance et je vais apprendre ».

Jeanne n’est pas la seule à présenter les surfeuses autrement. Les surfeuses veulent de plus en plus sortir des canons de beauté associés à leur discipline et exposent leurs différences. Comme la surfeuse Risa Mara Machuca qui développe sa marque de combis et bikinis pour les femmes comme elle, avec des courbes. Un autre exemple : ce shooting réalisé sur la Côte des Basques par Julie Pollet, fondatrice de l’association EllesSurf, et Cécilia Thibier, photographe très reconnue dans le milieu. Ensemble, elles ont décidé de montrer « la vraie beauté et la diversité des femmes dans le surf ». Elles ont lancé un casting sur les réseaux et n’ont reçu que des messages positifs, des centaines de messages en quelques heures seulement. « Les femmes attendaient ce projet » raconte Julie dans L’Équipe. Pour leur shooting elles ont retenu neuf surfeuses aux physiques très variés. Elles célèbrent les fortes poitrines, les petits ventres, photographient une femme enceinte ou une surfeuse handicapée. Et comme le rappelle Julie Pollet : « Une surfeuse est avant tout une femme épanouie, passionnée de l’océan, mais qui, comme toutes les femmes, porte ses petits complexes avec elle tous les jours ». C’est sûr, la nouvelle vague de surfeuses est là, prête à remuer les océans.

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