Le voyage [1/7][FRA]

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Chronique

Le 06.04.2021 par Julie Le Minor

Récit d’un périple à l’arrêt

Jamais on n’aura autant attendu le retour des beaux-jours, des vacances et de la liberté. Jamais on n’aura eu autant envie de voyager. Alors pour patienter encore avant de démarrer le combi-van de l’été, quinze potes embarqués à l’arrière, les vélos et les planches de surf accrochés au toit, Tafmag vous propose un petit manuel salutaire pour voyager depuis son canapé par l’art et la pensée.

 

1 – Stoïque tu seras  

Commençons ce voyage intérieur par un détour par la Grèce. Rendez-vous vers 300 avant notre ère sur l’Agora d’Athènes, sous le Portique peint où se retrouvent chaque jour, les stoïciens. Réunis autour de Zénon et Citium, ils discutent de cette nouvelle doctrine philosophique qui prône l’omnipotence de la raison sur les choses de la vie. « Notre volonté, nos pensées, nos représentations et nos jugements sont en notre pouvoir (…) » , explique le spécialiste Roger-Pol Droit. « La volonté pensante est une forteresse. Ce que je veux, juge et décide ne dépend que de moi ». Le bonheur, cet état tant recherché, ne dépendrait ainsi que de la manière dont chacun voit, pense et juge ce qu’il vit. Heureux dans le pire, voilà peut-être la morale des stoïciens. Une morale qui fait singulièrement écho à l’époque que nous vivons. Dans ce marasme ambiant, il est parfois bien difficile de trouver la paix intérieure et le goût du bonheur et alors que nous entamons un énième confinement, la philosophie stoïcienne peut s’avérer un guide intéressant pour dépasser troubles et angoisses. Alors comme les stoïciens sous le soleil brûlant de la cité athénienne, on fortifie sa citadelle intérieure et on tente de s’aligner avec le Cosmos par la force de la pensée et de la raison. « Qui vit en paix avec lui-même vit en paix avec l’univers », écrit Marc-Aurèle. À méditer.

2 – La beauté tu rechercheras 

Rechercher la beauté là où elle n’apparaît pas, tel est peut-être le défi de la modernité. Au XIXe siècle, Baudelaire cherche à définir la beauté à travers un nouveau phénomène : la mode. Selon le poète dandy, la mode permet de saisir la beauté particulière d’une époque car « la beauté absolue et éternelle n’existe pas ». La mode, selon Baudelaire, représente ainsi le « beau moderne, le seul beau dont soit capable une époque décadente ». Le beau immédiat, celui de l’air du temps, de l’ici et du maintenant. La beauté serait donc partout à condition de regarder là où il faut. Ce nouveau schéma de pensée et de représentation entraîne l’individu moderne à opérer un regard neuf sur le réel imparfait et à rechercher d’autres manières d’exister. Baudelaire définit en ce sens le portrait de l’artiste moderne et ses nouveaux enjeux face à un monde muable et de plus en plus incertain. Si l’art contemporain a tant besoin de représenter le présent et le réel, c’est aussi parce qu’il sont imparfaits. Le beau et l’art donc en remèdes au spleen des temps modernes.  

3 – Le mélancolie tu accepteras

Si en ce nouveau mois d’avril confiné, vous ressentez une forme de fatigue, de lassitude ou de tristesse, vous vivez certainement un moment de spleen, cet état désabusé où l’humeur noir et la mélancolie l’emportent sur le bonheur passager. Pas de panique pourtant car cette vague à l’âme peut s’avérer propice au songe, à la contemplation et à la création. Depuis la nuit des temps, cette poésie de la noirceur, de la solitude et de l’isolement a nourri les plus grandes œuvres. Des romantiques à Jean-Paul Sartre, du Blue Monday de New Order au Summertime Sadness de Lana Del Rey, l’art cathartique s’inspire de l’angoisse et du spleen pour mieux s’en libérer. On se complaît donc un temps dans cette langueur monotone pour s’adonner à la rêverie et à la contemplation puis on écoute l’émission « Remèdes à la mélancolie » de la journaliste Eva Bester. N’oubliez pas, tout est une question de perception. 

4 – L’art des grands espaces tu admireras 

On poursuit notre voyage et on s’évade en admirant les œuvres monumentales de l’édition 2021 de l’exposition Desert X. Cette année, direction la vallée tant convoitée de Coachella où se tient habituellement le célèbre festival américain. On s’imagine arpentant les paysages rocailleux et arides de ce désert californien, le soleil au zénith, et on découvre avec stupeur l’immense panneau « INDIAN LAND » de l’artiste Nicholas Galanin qui s’élève dans le décor comme le nouvel Hollywood. Plus loin, on rencontre le trompe l’œil géométrique et organique de l’allemande Alicja Kwade. Puis, on se perd dans le labyrinthe de tapis artisanaux de l’artiste mexicain Eduardo Sarabia dont l’œuvre fait écho au mur commencé par Donald Trump pour séparer le Mexique et les États-Unis. Ici pourtant, pas de frontières. Seulement, le désert et l’art, ici, là-bas, maintenant. 

5 – Avec les auteurs du voyage tu t’évaderas 

L’aventure aujourd’hui ne peut pas dépasser dix kilomètres à la ronde. Alors on vit par procuration avec Jack London et on dévore Jack Kerouac et la Beat Generation sur la route 66 et les chemins de Katmandou. On traverse l’Espagne à vélo avec Marc Fernandez dans un décor de western sur les pas du Cid, ce chevalier légendaire qui inspira la pièce de Corneille. On part à cheval au Kirghizistan avec Laurent Mauvignier dans une épopée où l’inconnu permet de se réinventer autrement. Puis, on se retrouve sur les Chemins Noirs de Sylvain Tesson pour se préparer déjà à « l’après » et à ces longues marches que l’on fera dans la nature. Immobile, on navigue, on expérimente, on s’aventure en terre inconnue avec une seule promesse : reprendre la route dès que l’occasion se présentera. 

6 – Drunk tu seras 

Comme dans « Drunk », le film de Thomas Vinterberg avec le magistral Mads Mikkelsen, on sort les bouteilles du frigo et on se plonge dans l’ivresse de vivre. Avec modération bien-sûr et en bonne compagnie (restreinte, évidemment). Dans le film acclamé par le Festival de Cannes en 2020, quatre amis en pleine crise de la cinquantaine décident de suivre la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle boire aiderait à voir la vie autrement. De cette comédie-drame à voir absolument, on ne s’inspire que des bonnes choses et on se dit qu’un petit verre parfois, cela peut éclairer l’esprit tout en animant la conversation. Pour les amoureux de dolce vita, on mise sur le Spritz et le Prosecco. Pour les rêveurs d’Homère et de l’Odyssée, on se verse un petit Ouzo et pour les amateurs d’apéro sudistes, on préfère le Pastis. Salvateur ? Parfois ! Mais attention, point trop n’en faut. 

7 – Danser tu continueras 

On se souvient du show exalté de la collection Isabel Marant Printemps-Été 2021 dans l’enceinte du Palais Royal avec le collectif de danse (LA)HORDE qui a fait vibrer Paris en octobre dernier. Un songe enivrant et une ode à la fête éternelle où les chorégraphes évoluaient entre les colonnes de Buren sur l’hymne électrique « I feel love » de Donna Summer. Six mois plus tard, la fête n’est toujours pas revenue, la nuit se tait encore et les corps se languissent de plus en plus des dancefloors endiablés et des idylles chorégraphiées. Alors pour ne pas perdre le pied et se préparer à l’été, on se replonge doucement dans le clubbing avec les concerts « Culture Club » de la Gaîté Lyrique, on écoute en boucle les playlists Tafmag, on se donne rendez-vous devant les lives de la DJ Barbara Butch tout en se promettant qu’une fois le confinement terminé, on sera évidemment le dernier sur la piste de danse.  

8 – Cette maxime tu retiendras 

Pour conclure ce léger manuel de mieux-vivre en temps de Covid-19, on retiendra surtout cette citation de l’empereur stoïcien Marc-Aurèle : « Voici la morale parfaite : vivre chaque jour comme si c’était le dernier ; ne pas s’agiter, ne pas sommeiller, ne pas faire semblant ».

© Tim Walker

 

[2/7] – Sidi-Omar Alami
[3/7] – Lorena Lohr
[4/7] – Tropico Photo
[5/7] – Rosie Harbottle
[6/7] – Sarah Witt
[7/7] – Prod Antzoulis

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