Hadrien Bels[FRA]

  • Art & Peinture

Interview

Le 13.09.2021 par Julie Le Minor

Hadrien Bels, Marseille dans tes yeux

Il y a un an paraissait Cinq dans tes yeux. Une claque. Un premier roman aussi franc que généreux. L’histoire de cinq copains, l’histoire d’une ville, les chroniques d’une jeunesse marseillaise à travers la plume brute et acide de l’écrivain Hadrien Bels. Pour Tafmag, Hadrien nous a raconté les métamorphoses de sa ville.

Comment est né Cinq dans tes yeux ?

Ce roman est parti d’expériences vécues avec des amis au Panier dans les années 90. Je voulais raconter nos aventures puis j’ai eu envie de parler du Marseille d’aujourd’hui. J’ai imaginé ces histoires dans un atelier à Tanger avec l’aide de mon éditrice comme un ensemble de nouvelles qui font le lien entre Stress, mon personnage principal, le Marseille des années 90 et aujourd’hui.

C’était important de faire le pont entre le Marseille de ton enfance et la ville actuelle ?

Je suis parti du point de départ que le Panier (quartier historique de Marseille, ndlr) avait complètement disparu. Avant toute chose, je voulais redonner vie à un quartier qui n’existe plus comme moi je l’ai connu. Le Panier est l’un des premiers lieux à avoir été touché par la gentrification. Il s’est transformé rapidement, en silence, sans que personne n’ai rien à redire là-dessus. J’ai vécu cette transformation de l’intérieur et j’ai voulu montrer cette évolution à travers mes différents personnages. Comment le temps a changé la ville avec ses nouveaux habitants. Comment une ville peut changer le destin des gens.

Finalement, le personnage principal de ce roman, c’est Marseille…

À chaque fois que les gens me parlent, ils me disent qu’ils sont des « venants » (Hadrien utilise l’expression venant pour désigner les bobos qui débaquent à Marseille, ndlr) ou qu’ils ont vécu la même chose que moi, la gentrification, à Lyon ou à Paris par exemple. Finalement, c’est un sujet assez universel. Qu’on le veuille ou non, les villes se transforment et on est toujours quelque part à regarder notre passé et la ville de notre jeunesse avec nostalgie.

Dans ce premier roman, tu dresses aussi un tableau des années 90 : sa culture, ses bandes, ses musiques et références.

Cinq dans tes yeux est un roman générationnel : les années 90. À l’époque, on portait un regard à la fois sur le rap, la transformation de la musique et de la ville, sur ce qu’on était en train de vivre finalement. J’ai quarante ans aujourd’hui, je ne suis plus jeune mais je ne suis pas vieux non plus. C’est un entre-deux où l’on porte souvent un regard un peu aigre, un peu acide, sur son passé. Il y a une phrase de Baudelaire dans son poème Le Cygne qui dit : « La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel ». C’est ça finalement, tu n’as pas de prise sur une ville. À un moment, elle t’échappe.

Quel est le lieu le plus symbolique de Marseille selon toi ?

L’esplanade du Vieux-Port est assez dingue ! Tu prends l’esplanade du Vieux-Port un samedi soir d’été à minuit, franchement c’est fou ! Parce que t’es au bled, t’es pas en France. Et ça je trouve ça merveilleux, c’est féérique. Le Vieux-Port, c’est le marché aux poissons le matin mais c’est aussi un endroit qui se renouvelle en permanence de jour comme de nuit. Il y a des touristes, des danseurs, des jeunes en trottinettes qui passent n’importe comment. À chaque heure, le Vieux-Port se redessine. C’est en quelque sorte le cœur de Marseille.

Comment décrirais-tu le Marseille d’aujourd’hui ?

Comme Stress, mon personnage principal, ma position sur le Marseille d’aujourd’hui est ambiguë. À la fois, Stress profite des soirées, il va dans des lieux cools, il tape de la coke et bénéficie d’une offre culturelle beaucoup plus large. Dans les années 90, quand tu voulais sortir, il n’y avait rien ! Tous les clubs étaient aux mains des mafieux. Il y avait trois bars alternatifs avec trois punks Cour Julien. Aujourd’hui, la ville offre des choses bien plus intéressantes à la jeunesse. En ce sens, Marseille s’est beaucoup développée.

Finalement, en décrivant l’arrivée des « venants » à Marseille, tu critiques surtout la fracture sociale qui s’est créée.

Oui, il y a des gens qui ont été laissés de côté. Il existe une fracture bien réelle dans Marseille aujourd’hui, avec les quartiers nords notamment. Il y a de véritables drames. J’ai grandi au Panier avec la plus grande communauté comorienne de France. Avec la gentrification, ils ont tous été envoyés dans les quartiers nords et désormais ils sont à la tête d’une majeure partie des réseaux de drogue. À mon époque, voir un comorien voyou, c’était inimaginable ! En créant ce nouvel entre-soi périphérique, sans accès à la ville, ça ne pouvait que mal tourner.

Parfois, as-tu peur que Marseille perde son âme, ce qui fait toute sa particularité ?

Dans certains quartiers marseillais, j’ai l’impression de ne plus être dans ma ville. Il y a un côté lissé, très homogène. Il y a une homogénéisation globale de la ville dans le style et même dans la manière de parler. Aujourd’hui, les jeunes marseillais ont un bon style ! Alors qu’avant, la particularité de la ville, c’était aussi son mauvais goût. Marseille avait son propre style. Aujourd’hui, dans certains quartiers, tu ne sais plus si tu es à Oberkampf ou dans le Panier.

Et Jul dans tout ça ? (Rires)

Il y a cinq ans, tout le monde détestait Jul ! On trouvait que c’était du rap médiocre, très mal écrit. Maintenant, tout le monde l’écoute ! On a une nouvelle culture commune qui n’existait pas auparavant.

Cela a-t-il favorisé aussi un nouveau brassage culturel ?

J’ai le sentiment qu’il y a une culture très segmentée. On a des valeurs communes sur la musique notamment, mais je n’ai pas l’impression que cela soit le cas dans la société. Dans les soirées, je ne suis pas certain que l’on se mélange vraiment. Mais ce que je reproche un peu aux venants, c’est la récupération des codes populaires, comme une écharpe Lidl avec une paire de TN. Ces nouveaux codes mélangent tout. Il y a une certaine récupération culturelle.

À quoi ressemblera le Marseille du futur selon toi ?

Je crois que l’on a cette chance à Marseille d’être une ville d’immigration où les cultures se sont toujours beaucoup mélangées. J’espère que cela va continuer et que les jeunes vont pouvoir brasser leur culture et se mélanger à tous les niveaux : culturellement, amoureusement… J’espère que la ville sera suffisamment forte pour absorber et continuer à mixer les choses.

Aujourd’hui, tu vis toujours à Marseille ?

Oui dans le centre-ville, je ne sais pas si je la quitterai un jour…

 

 

Pour aller plus loin, écoutez l’interview d’Hadrien Bels sur France Culture.
Ou procurez-vous Cinq dans tes yeux (Éditions de l’Iconoclast, 295p, 18€)

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