Éléonore Levai[FRA]

  • Art & Peinture

Interview

Le 22.11.2022 par Julie Le Minor

Dans le salon de Éléonore Levai

Tafmag s’est longuement entretenu avec la talentueuse et pétillante Éléonore Levai dans son appartement de la rue des Pyrénées. Avec son mari et tandem artistique, Benjamin Belaga, la jeune femme originaire de Strasbourg a imaginé Chapelle XIV, dans le quartier éponyme, un lieu d’expression artistique hybride où se mêle un café, un disquaire ainsi qu’une galerie d’art et de mobilier contemporain.

Interieur composé d'un canapé en cuir marron, de chaises designs et d'oeuvres d'art accrochés aux. murs

Tafmag : Hello Éléonore, merci de nous accueillir chez toi et Benjamin, dans ce salon très arty, où nous sommes entourées de tableaux, de photographies et de mobiliers en tout genre.

Éléonore : Oui, j’adore cet appartement ! On a emménagé en 2019 avec Benjamin, mon mari. On était déjà dans le quartier, à cinq minutes d’ici, et on voulait vraiment rester dans le 20e. On a mis du temps à trouver mais on est vraiment très contents. On vient de Strasbourg tous les deux, on ne se sent pas vraiment parisiens, mais ce quartier, c’est vraiment chez nous. On adore la dynamique du coin et on a plein d’amis ici.

Dès que je suis entrée dans le salon, j’ai immédiatement su que j’étais chez une spécialiste de design et d’art contemporain. Peux-tu nous parler de quelques œuvres qui nous entourent ?

Oui bien-sûr, la première œuvre que l’on a acheté ensemble, c’est un tissage de Rosanna Lefeuvre. Je l’ai repérée à l’expo « 100% » à la Villette qui met en lumière des jeunes talents fraîchement diplômés. J’ai tout de suite eu un immense coup de cœur pour cette oeuvre techniquement complexe où se révèle une certaine mélancolie. À l’époque, je travaillais à la galerie Jérôme Poggi, j’ai toujours aimé découvrir des artistes émergents.

intérieur composé de mobilier vintage avec un tissage de Rosanna Lefeuvre

Oui, toutes ses œuvres affichées autour de nous semblent donner le ton de la jeune création actuelle. On retrouve un certain fil conducteur d’ailleurs, dans le choix des sujets, des couleurs et des émotions aussi qu’elles suscitent. Une imagerie pleine d’humour et de délicatesse, avec ce twist décalé, ces personnages parfois loufoques ou ce petit portrait de ton chat qui trône fièrement au milieu d’autres tableaux.

Oui, c’est vrai ! C’est Raphaël-Bachir Osman qui a peint le portrait de notre chatte Socquette, en train de poser devant un de nos tableaux. Il y a cette photo de fleurs de Rosanna également. Il s’en dégage une forme de sensualité pudique, un vrai travail sur la couleur. Depuis, nous sommes devenues amies avec Rosanna. On lui a même consacré une exposition carte blanche durant l’été 2021. C’est comme ça que je fonctionne avec les artistes, c’est souvent un coup de cœur artistique, mais aussi un feeling amical. Quand j’aime la personne, j’ai souvent envie d’avoir une de ses œuvres. J’ai un rapport très émotionnel avec l’art. Il y a aussi ce grand tableau de Cécile Guettier, c’est notre cadeau de mariage. On a une relation très forte, c’est elle qui a fait les visuels de la première compilation Chapelle XIV Music. On essaye toujours de créer des ponts entre la musique, la spécialité de Benjamin, et la galerie que je dirige.

Vous semblez vraiment être un véritable duo à la scène comme à la ville. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

On était tous les deux étudiants à Strasbourg, lui en archi, moi en droit, et finalement aucun de nous n’a suivi ces voies ! On s’est rencontrés en soirée, très jeunes, aujourd’hui, on est mariés et on fête même nos 10 ans de couple.

Mazel Tov ! Quel a été le moment déclencheur où tu as décidé de suivre une voie artistique, plutôt qu’une carrière en droit toute tracée ?

Je pouvais entrer à Sciences-Po et me tourner vers les affaires européennes ou bien suivre un master en marché de l’art à l’université Warwick en Angleterre. J’avoue que je n’ai pas vraiment hésité ! C’est fou comme à un moment donné dans l’existence, tu décides de prendre à droite ou à gauche, et cela change tout. Si je n’avais pas fait ce choix, j’aurais été parlementaire européen, ce n’est pas le même délire (rires).

Etagères blanches sur lesquelles sont disposées des peintures et des oeuvres d'art

Comment est né le projet de cette entité créative protéiforme, Chapelle XIV ?

On a choisi l’espace de Chapelle XIV tous les deux, on n’aurait jamais pu avoir un espace comme celui-ci dans le Marais mais ça nous plaisait bien d’investir ce quartier. C’était un vrai challenge. Au départ, cela ne devait pas du tout être un espace polyvalent, mais en découvrant le lieu, j’ai eu un véritable déclic. Je n’ai pas du tout l’âme d’une entrepreneuse, enfin je ne pensais pas l’avoir. Je n’aurais jamais imaginé monter une galerie seule à mon âge. Mais j’ai eu une révélation en entrant dans le lieu. Depuis, c’est un work-in-progress constant.

Vous avez ouvert en plein milieu du Covid, cela n’a pas dû être facile…

C’est vrai que l’on a signé la première semaine de Mars 2020, sans imaginer que le Covid durerait aussi longtemps. Néanmoins, la pandémie nous a permis de prendre le temps de penser le projet dans sa globalité : trouver une architecte, imaginer l’ambiance, le mobilier et voir aussi comment nous intégrer dans le quartier. C’était finalement un luxe d’avoir eu tout ce temps pour concevoir Chapelle XIV.

Il en résulte un concept audacieux à l’esthétique chiadée, à la croisée du tiers-lieu et de la galerie traditionnelle, mais loin du fameux White Cube tant sacralisé par l’art contemporain. J’imagine que c’était un pari audacieux de se détacher autant des normes de ce milieu.

Oui, je voulais créer un espace chaleureux, avec des courbes, des arches, des niches, bref de la rondeur ! Quelque chose d’organique où l’on peut circuler librement. Je ne voulais pas d’un lieu trop solennel, je voulais que les gens se sentent à leur place. Quand on me demande de définir Chapelle XIV, je dirais que c’est « un concept store culturel ». Pour moi, il n’y a aucune connotation négative dans ce terme. Il y a d’une part des commerces – le disquaire, la galerie, le café – et d’autre part nous faisons aussi la promotion de différentes disciplines artistiques. J’ai grandi avec des références comme Colette à Paris et j’imagine que ce type de concept-store m’a aussi inspiré dans la création de ce lieu.

Eleonore Levai penché au dessus d'une table vintage noire devant un mur où sont accrochés plusieurs cadres

Comment organises-tu la curation de la galerie ?

La ligne curatoriale numéro un, c’est de se concentrer sur la création émergente. Puis, l’idée, c’est de proposer des expositions où dialoguent des œuvres d’art contemporain, des pièces de design mais aussi du craft ou de nouvelles pratiques encore difficiles à catégoriser. Mes expositions ne sont souvent pas très conceptuelles, c’est une lecture accessible, compréhensible, straight-to-the-point. Il y aussi une dimension domestique, la galerie ressemble un peu à un intérieur dans lequel on peut se projeter, on essaye vraiment que les œuvres soient accessibles à tous.

Quel regard portes-tu sur le chemin parcouru depuis la création de Chapelle XIV en tant que jeune entrepreneuse ?

Je suis hyper reconnaissante que les gens viennent déjà ! C’est bête, mais je ne savais pas s’ils allaient être au rendez-vous. C’est d’autant plus cool que le public est assez hétérogène. On a des Gen Z mais aussi des quarantenaires cools qui arrivent en skate, ou des collectionneurs aguerris. On peut passer d’un concert de musique classique où les gens viennent boire un jus d’abricot en toute discrétion puis enchainer sur une performance drag. Un tout autre public (rires), mais c’est ça qui nous plait aussi ! Ce croisement de disciplines artistiques fait aussi la particularité de notre business model. Finalement, c’est un cercle vertueux.

Vous avez finalement réussi le challenge de faire vivre ce lieu…

Les premières années en tant que chef d’entreprise, c’est un ajustement permanent. Il faut être souple, ajuster son modèle, mais on a su s’adapter et cela a fonctionné.

Focus sur les étagères d'une bibliothèque où est posé une sculpture

Quels conseils donnerais-tu à un jeune aujourd’hui qui aimerait se lancer dans un projet artistique ambitieux comme celui de Chapelle XIV ?

Le vrai secret, je pense, c’est de croire en soi. Si tu as confiance en toi, tu convaincs toujours les autres. Il faut aussi cultiver sa curiosité, s’entourer de personnes bienveillantes, ne pas écouter les mauvaises langues et toujours garder en tête le positif.

C’est important de se construire un bon réseau j’imagine aussi…

Oui, cela m’a beaucoup aidé d’appartenir à des groupes, de rencontrer des personnes brillantes qui te portent et t’encouragent. Depuis quelque temps, je fais partie de Wise Women, elles sont géniales ces femmes ! J’ai été coopté par une autre membre et depuis j’adore, c’est très bienveillant et enrichissant. Cela te conforte dans tes prises de risque et dans tes choix. Si elles y sont arrivées, pourquoi pas toi ?

La galerie est située dans le quartier de La Chapelle comme son nom l’indique, comment avez-vous attiré le public ?

Je voulais que les jeunes artistes que nous présentons puissent rencontrer un public à la fois d’initiés mais aussi d’amateurs. Notre public est constitué majoritairement de créatifs parisiens, trentenaires CSP +, mais parfois on a aussi des gens du quartier ou des petits jeunes qui achètent leur première œuvre chez nous et c’est hyper cool ! Mais c’est vrai que ce n’est pas toujours évident. Parfois, on sent une certaine retenue de la part de collectionneurs plus âgés qui ne sont pas forcément prêts à quitter les quartiers plus guindés pour venir jusqu’ici mais on arrive à les séduire autrement.

Et avez-vous réussi à intégrer la population du quartier ?

La gentrification fait son chemin. Mais dans la copropriété du 14, il y a autant de créatifs que de familles qui vivent là depuis plus de cinquante ans. Cela a été un vrai questionnement tout au long du processus de création de Chapelle XIV mais on a souhaité avant tout créer un lieu qui nous ressemble, qui soit fidèle à notre vision et qui soit bien-sûr inclusif. On a créé une « carte Supervoisin » pour le café, avec des réductions, on fait de l’affichage dans les rues pour attirer les habitants du quartier, on fait aussi des ateliers avec les enfants du coin, et ça paye, les gens viennent !

Intérieur composé d'un fauteuil en cuir marron devant un grand miroir à côté d'un cadre

En tant que spécialiste de la création émergente et curatrice, quel regard portes-tu sur la scène créative parisienne ces dernières années ?

Elle est en plein boom ! La capitale bouge beaucoup, la scène émergente post-école notamment est très riche, intéressante et vraiment suivie ! De nombreuses institutions se tournent de nouveau vers Paris depuis le Brexit. Des résidences comme Poush ont permis de rendre visible toute une nouvelle génération d’artistes. J’ai hâte de voir ce qui va arriver.

Que peut-on vous souhaiter à toi et Benjamin pour la suite ?

De belles rencontres, un public éclectique et peut-être aussi une « slow » croissance positive.

Etagère blanche sur lesquelles sont disposé des cadres et des céramiques fauteuil en bois brun et cannage installé devant un tabouret sur lequel est posé une lampe noir et doré Canapé en cuir marron, avec des coussins roses posé devant un mur avec 3 cadres interieur du salon d'Eleonore Levai entre oeuvres contemporaines et meubles design Intérieur parisien avec un table design prositionné devant un mur d'oeuvres d'art

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