Eléonore Deshayes[FRA]

  • Art & Peinture

Chronique

Le 25.01.2019 par JULIETTE MANTELET

« Un paysage quelconque est un état de l’âme », cette phrase écrite par Henri-Frédéric Amiel, écrivain suisse, correspond très bien à l’univers de la peintre lilloise Eléonore Deshayes. Ses toiles sont des voyages imagés au coeur de ses souvenirs. Des paysages à la fois intérieurs, reflets de son âme, et très artistiques, par cette incroyable confusion des teintes.

« POÉSIES FLOTTANTES »

Lorsqu’elle voyage, Eléonore recherche toujours « la plasticité ambiante ». Son travail se base uniquement sur ses souvenirs, ses réminiscences émotives. « J’ai le besoin vital de cultiver et faire mûrir les territoires que j’ai traversés », décrit l’artiste. Elle ne peut s’en empêcher, il lui faut capturer ses instants, graver ses états d’âme ressentis face aux paysages. Elle offre un voyage double dans ses toiles : géographique à travers des paysages de collines variés rappelant les estampes japonaises du Mont Fuji, et temporels, au cœur des souvenirs. Un voyage énigmatique dans ses toiles au bord de l’abstraction, mêlant parfois fragments photographiques et peinture.

La jeune peintre a surtout une façon originale et bien à elle de peindre la nature. Loin d’une nature figée, grâce à son trait, elle lui donne un mouvement coulant, instable. En effet, Eléonore laisse apparaître sur ses œuvres des ratés, des imperfections. Elle ne cherche pas le trait parfait comme dans les portraits de Yaël Hupert, où chaque couleur est bien à sa place pour un réalisme accentué, et où rien ne dépasse. Au contraire, chez Eléonore les couleurs marquant les différents plans du paysage se mélangent joyeusement : elles glissent les unes sur les autres, s’influencent. Les bavures et les dégoulinures sont laissées apparentes, elles participent au tableau et à son message. Ces tableaux, Eléonore les appelle des « poésies flottantes », flottants comme la vie, le temps, les sentiments et les souvenirs. La mémoire qui glisse, les impressions qui restent et s’accrochent, c’est tout ça que symbolise ainsi superbement l’artiste. Les tons fusionnent, sans plus de frontière. On dirait qu’il a plu et qu’une tempête vient de délaver le paysage, d’en brouiller la perception. C’est fort. Les paysages d’Eléonore sont des paysages intérieurs, ils sont sentimentaux, expriment la mélancolie, le spleen, le regret. Sa gamme de couleur, relativement sombre et froide, à l’image de ce bleu omniprésent tirant sur le vert et le violet, colle si bien à ce cocktail d’émotions.

La nature est insaisissable est c’est aussi pour Eléonore sa façon de représenter les territoires en transition, d’incarner l’impossibilité de mettre un terme véritable au voyage et celle, surtout, de figer la nature. La nature qui, comme dans les poèmes « Le Lac » de Lamartine ou « Soleils Couchants » de Victor Hugo évolue sans cesse, est toujours en mouvement. L’homme quitte le paysage, rentre chez lui, et pourtant rien ne s’arrête, son départ n’est la cause d’aucune perturbation naturelle. Cruel sentiment de l’homme mortel face à la nature éternelle. « Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! » s’écriait Lamartine. Par ces couleurs indéfinies, diluées, Eléonore donne du mouvement à ses paysages et montre qu’elle a divinement compris l’impossibilité d’arrêter le temps d’un voyage ou de cerner les contours d’un paysage, fut-il réel ou intérieur.

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