Douglas Mandry[CHE]

  • Photographie & Cinéma

Chronique

Le 23.07.2019 par JULIETTE MANTELET

Douglas Mandry, photographe suisse, ne jongle pas avec les sujets et les modèles, il s’amuse avec le support de la photographie, son histoire, et une méthode originale de colorisation. Son thème de prédilection demeure le paysage et l’exploration du territoire mais, à partir de ce sujet, il questionne notre vision du réel et le rôle même de la photographie.  Sa série « Unseen Sights » a été présentée cette année lors du Festival Circulation(s), où le photographe a pu voir son travail exposé en grand et recevoir les retours encourageants du public.

BLEUE COMME UNE ORANGE

Douglas base son travail sur un processus original bien à lui. Il part de négatifs en noir et blanc qu’il réalise dans des sites archéologiques puis, il génère de grands formats qu’il vient ensuite coloriser à la main avec de la peinture et un aérographe. Il termine sa démarche en les re-photographiant. Cette technique de colorisation d’images à la main remonte au 19ème siècle, où elle était monnaie courante avant la démocratisation de la photographie couleur. Par cette colorisation, Douglas propose une version alternative de la réalité. Les paysages prennent des airs de planètes inconnues où le sol se pare de tâches roses et où les fleurs sont rouge sang. Il colore ses images en fonction des émotions, des souvenirs, ou de faits relatés par les archéologues. La couleur est la part de subjectivité de sa photographie. Il accentue les contrastes déjà présents, rend les couleurs plus vives, plus surréalistes. Ses paysages, d’autres touristes les ont capturés avant lui, mais sa colorisation change tout. Comme chez Mischelle Moy ou Kate Ballis, le monde se pare de couleurs plus vives, que l’on voit peu dans notre quotidien. Les photos de Douglas sont une explosion étincelante de rose, de violet… Pour ces photographes, les paysages sont un vrai terrain de jeu que cela soit pour s’évader, rêver ou questionner notre réalité. Le monde serait-il plus beau si les montagnes étaient roses, la banquise turquoise et le ciel orange ? Comme chantait Guy Béart : « La mer est en bleu, entre deux rochers bruns, je l’aurais aimée en orange » …

Par cette colorisation, Douglas tente de créer une tension entre ce qui pourrait être réellement présent sur l’image originale et son résultat, après son intervention artistique. Cette tension entre imaginaire et réel, rappelle les romans fantastiques, où il suffit d’un élément étrange pour nous faire basculer d’une histoire réelle à un monde magique.

PHOTOGRAPHIE AUGMENTéE

Et comme dans un roman fantastique, Douglas cherche à faire réfléchir le spectateur sur notre monde, et plus particulièrement sur cette frontière qui se fait de plus en plus fine entre réalité virtuelle et univers réel. Pour l’artiste, il est devenu difficile aujourd’hui de distinguer le réel basique de sa version augmentée. Il désire donc par ses images susciter la réflexion sur ce rapport entre objectivité et abstraction, inhérent à la photographie, et sur les croyances gravitant autour de cet art. En effet, la photographie est généralement perçue comme l’art suprême du réel, permettant de le représenter le plus fidèlement possible. C’est l’art des portraits et des photos de reportage. Douglas, lui, s’amuse à détourner cette idée reçue que la photographie est forcément une preuve de la réalité. C’est son sujet d’expérimentation. Il s’appuie sur les codes établis de la photographie et se sert des évolutions de ce medium et de méthodes anciennes pour rappeler que la photographie est avant tout un objet que l’on peut modifier et transformer à sa guise. On sait tous que le fameux Baiser de Robert Doisneau, débordant pourtant de spontanéité a en fait été mis en scène, même si rien ne le laisse suggérer à l’image. Et l’on sait aussi pertinemment de nos jours avec les réseaux sociaux et la prolifération de photos ultra saturées et filtrées qu’il faut faire attention à ce que l’on voit . La photographie est un objet modifiable, que l’on retouche, que l’on colorise rappelle Douglas, invitant son public à prendre du recul et à s’entraîner à distinguer le vrai du faux.

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