Génération Icônes [1/4][FRA]

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Chronique

Le 09.11.2020 par Julie Le Minor

À chaque civilisation, ses dieux. À chaque génération, ses icônes.

Joséphine Baker, Simone Veil, Marylin Monroe, Brigitte Bardot, Grace Jones, Lady Di, Madonna, Beyoncé, Britney Spears, Michelle Obama, Greta Thunberg… Rien ne rassemble ces figures féminines ancrées dans l’imaginaire commun. Rien, excepté peut-être le culte dont elles font l’objet : leur statut d’icône. Objet de curiosité, de fantasme, de dévotion, voire même de consommation, ces femmes sont devenues des icônes célébrées par toutes et tous. Intemporelle ou générationnelle, à la fois sujet et objet, ce sont des femmes savantes, des artistes, des pin-up, des sportives, des militantes, des performeuses. Ce sont des femmes de spectacle, des femmes de pouvoir. Des légendes. Qui sont ces muses universelles ? Que disent-elles de notre société, de la place que l’on accorde aux femmes et du regard que l’on porte sur elles ? Entre mythe et réalité, entrez dans la “Génération Icônes”.

 

Et Dieu créa la femme : les Origines divines

À chaque civilisation, ses dieux. À chaque époque, ses cultes. À chaque génération, ses icônes. Du grec – ἐικ́ων qui signifie image ou ressemblance , l’icône désigne d’abord un art religieux, une image figurant une scène ou un portrait destiné au culte. L’icône est l’expression picturale de la foi orthodoxe et prendrait ses racines dans la ville de Byzance à la fin de l’Antiquité. Au fil des siècles, l’icône reste un objet de culte dont la beauté permet d’accéder au divin. De l’empire Byzantin à la Renaissance, de la Russie à l’Italie, elle répond à des contraintes artistiques qui lui confèrent son caractère immuable et la distingue des idoles, assimilées à l’art païen. Autrefois antagonistes, ces deux termes désignent aujourd’hui de nouveaux symboles, de nouvelles croyances : de nouveaux modèles. 

Reflet de l’air du temps, l’icône désigne une personne incarnant un idéal, une communauté, un courant ou une mode. Elle cristallise l’ensemble des projections d’une époque. Dans les sociétés occidentales, longtemps patriarcales, l’icône est souvent masculine, symbole de force, de pouvoir ou de puissance à l’instar de J.F.K, Clint Eastwood ou Mick Jagger. Pourtant, dès le début du XXe siècle, on assiste à la multiplication d’icônes féminines en parallèle de l’émancipation des femmes dans la société. Chaque décennie érige ainsi en modèle de nouvelles figures inspirantes, souvent à l’avant-garde des idées de l’époque. Dès la fin du XIXe siècle, le petit monde « éminemment » masculin des sciences assiste à la révolution Marie Curie. Pionnière, elle devient l’une des scientifiques les plus célèbres au monde, la seule à être auréolée de deux Prix Nobel. Marie Curie représente la femme savante par excellence. Loin de celles moquées par Molière, elle incarne la connaissance ultime et devient une femme de pouvoir dont l’héritage scientifique reste à ce jour inestimable.

Dans la France des Roaring Twenties, la danseuse noire de music-hall Joséphine Baker secoue elle aussi le Vieux Monde. Pour la réalisatrice Ilana Navara qui lui consacre un documentaire, elle est la première icône noire, un symbole d’émancipation et de la lutte contre le racisme. Faisant de la scène, une tribune politique, son engagement se poursuit en dehors des cabarets, comme ce mois d’août 1963, où elle apparaît aux côtés de Martin Luther King lors de son discours mythique « I have a dream ». Le destin de Marie Curie et Joséphine Baker illustrent ainsi un changement de regard sur la femme : elle-ci n’est plus seulement cantonnée à son rôle de second plan, d’épouse ou de mère.

Les nouvelles icônes

Au début du XXe siècle, une usine à rêves se met en marche sur les collines de la Cité des Anges. Bienvenue à Hollywood, la grande fabrique des idoles : le début du star-system. C’est l’époque d’Autant en emporte le vent, Casablanca ou Citizen Kane. L’époque de Grace Kelly, Judy Garland et bien sûr Audrey Hepburn. Hollywood marque un véritable tournant dans l’avènement d’une culture globalisée. Désormais, d’un côté à l’autre de la planète, on partage les mêmes icônes, les mêmes fantasmes. Le Nouveau Monde fait rêver. L’American Dream se propage et partout on adule ces icônes des temps modernes. Parmi elles, un nom reste gravé à jamais : Marilyn Monroe. Archétype de la pin-up d’Hollywood, la (fausse) blonde et glamour Marilyn est alors l’icône absolue. En bâtissant sa popularité sur son image de sex-symbol, en affirmant sa sexualité et sa féminité aux yeux de tous, Marylin Monroe inaugure une nouvelle arme de séduction massive pour les femmes. La sexualité devient source de pouvoir.

NOUS SOMMES AUX PRÉMICES D’UNE GRANDE RÉVOLUTION SOCIÉTALE, SEXUELLE NOTAMMENT, QUI ABOUTIRA EN FRANCE à MAI 68.

Mais dans la France des sixties, une autre blonde détrône Marylin. Un autre sex-symbol. Deux initiales, un mythe : B.B. Brigitte Bardot. Femme fatale, chantée par Gainsbourg, convoitée par tous, la muse de la Nouvelle Vague et de Godard devient l’icône de toute une génération. et fait chavirer les coeurs du port de Saint-Tropez. Sensuelle et insouciante, Brigitte Bardot incarne un nouveau symbole d’émancipation : la femme libérée. Les temps changent. Nous sommes aux prémices d’une grande révolution sociétale, sexuelle notamment, qui aboutira en France à Mai 68.

La fabrique des icônes

Dès les années 60, la société de consommation marque un tournant dans la fabrique des images. Les médias, comme l’art, deviennent le reflet de la société de consommation. Et qui mieux qu’Andy Warhol, inventeur du Pop Art, pour s’emparer de cette nouvelle vérité ? Dans sa Factory, son loft-atelier, il reçoit le tout New-York de la high-society américaine mais aussi de l’underground. On y croise les Velvet Underground bien-sûr, mais aussi Lou Reed, le couple Jagger, Grace Jones, Patti Smith ou encore Edie Sedgwick, muse de Warhol. Comme Hollywood, la Factory devient une nouvelle fabrique d’idole. C’est le rendez-vous du super-star-system underground où se croisent inconnus et égéries, étoiles d’un jour et célébrités. Selon Warhol lui-même, quiconque pénètre ce temple ressort auréolé de prestige. C’est dans ce lieu devenu mythique que l’artiste peint ses sérigraphies si célèbres : Marilyn Monroe, Liz Taylor, Jackie Kennedy, mais aussi Debbie Harry, la chanteuse de Blondie. L’œuvre warholienne interroge ainsi l’icône en tant qu’œuvre artistique mais aussi l’idéalisation et la sacralisation qui entourent ces nouveaux modèles. Elle symbolise également ce tournant vers la femme muse et objet des 80s.

Exit la peinture, Hollywood ou l’underground : la mode est devenue le terreau le plus fertile pour fabriquer des icônes.

Les années 80 marquent le règne des icônes « Amour, gloire et beauté ». La mode est à la fête, aux paillettes, à l’ostentatoire et au bling. On célèbre le succès, la réussite fait rêver. La mode explose et devient une nouvelle machine à icônes sur papier glacé. Mais si créateurs et photographes sont de véritables stars comme Gianni Versace, Azzedine Alaïa ou Steven Meisel, ce sont leurs modèles que l’on adule. « The Trinity » règne sur la mode : Linda Evangelista, Christy Turlington et Naomi Campbell. C’est le temps des « Supermodels » à la plastique de rêve : Claudia Schiffer, Cindy Crawford, Carla Bruni… Une plastique qui n’est pas sans rappeler une autre icône, une poupée cette fois, la célèbre Barbie. Mais en 1992, une nouvelle recrue attire tous les spotlights. On la surnomme « la brindille » en opposition à ses sculpturales aînées : le mythe Kate Moss est né. Exit la peinture, Hollywood ou l’underground : la mode est devenue le terreau le plus fertile pour fabriquer des icônes. À la croisée de l’art et du commerce warholien, elle en manie parfaitement les codes. Véritable pygmalion, la mode façonne ces modèles à son image et aujourd’hui, les nouveaux dieux se nomment LVMH, Kering, Vuitton, Gucci, Balenciaga. Sans oublier, la magistrale papesse punk Vivienne Westwood ou la gourou de la mode : Anna Wintour.

Figures sacrées

Objets de curiosité et de fantasme, nos icônes sont aussi devenues des produits marketing. Comme les icônes chrétiennes, leur culte répond à des dogmes bien précis : elles ont été fabriquées. Pour préserver leur rôle statutaire, elles utilisent une communication bien huilée et les artifices du spectacle, jusqu’à emprunter aux représentations du sacré. Lors des Grammy Awards de 2017, Beyoncé apparaît tout d’or vêtue, enceinte de ses jumeaux, telle la déesse africaine Oshun. Un costume qui fait date où se mêlent différents cultes et influences : l’ancien et le moderne, le sacré et le paÏen. En 2018, on assiste aussi à un véritable défilé d’icônes en tenues sacrées sur les marches du MET à New York : Sarah Jessica Parker, Lady Gaga, Rihanna, Zendaya, Cardi B.. Le thème du gala ? L’imagerie catholique.

Un imaginaire propre à la religion que maîtrise parfaitement les artistes Pierre et Gilles qui se sont employés à réaliser des portraits d’icônes comme la cultissime Madonna ou l’insaisissable Arielle Dombasle. Dans l’univers du duo, les idoles contemporaines sont souvent représentées en divinité ou en saint en référence à la mythologie grecque ou au culte chrétien. La reine de la pop apparaît ainsi sous les traits du prophète Ushiwaka, la chanteuse Clara Luciani se transforme en Madone aux fleurs tandis que l’actrice Hafsia Herzi devient une Vierge à l’enfant controversée. Car le culte des icônes passe aussi par la transgression ou le scandale comme en témoigne l’œuvre du photographe David Lachapelle et ses clichés de Pamela Anderson ou Kim Kardashian. Un art de la provocation que maîtrise également parfaitement la Cicciolina, égérie trash 80s et ancienne actrice du X, et son époux, l’artiste Jeff Koons, qui se dévoilent dans la série Made in Heaven. Une ode à la sexualité et un sacré sacrilège qui confèrent encore à ce duo son statut d’icône. Une culture de la transgression reprise aujourd’hui par de nombreuses personnalités pour créer le “buzz”. Leur nouveau credo ? “Break internet”.

kim kardashian avec colombe

Kim Kardashian © David Lachapelle

Génération Instagram : la fin des icônes ?

Internet et les réseaux sociaux ont redistribué les cartes favorisant une explosion de nouvelles idoles dont l’aura ne dépasse généralement pas l’écran. N’est pas une idole qui rêve, n’est pas une icône qui veut. En 2014, la Une du magazine américain PAPER « break » littéralement internet avec Kim Kardashian. Le cliché pris par Jean-Paul Goude, figure majeure de la pop culture, est en fait un clin d’œil à celui de l’actrice et mannequin Grace Jones, autre icône pop. Le sacre Kardashian ouvre la voie à une myriade de nouvelles idoles dont la postérité se résume en un mot : l’influence. Les likes et les followers font désormais la loi. Dans une société saturée d’images et de symboles, la multiplication de ces idoles d’un jour pose la question de leur désacralisation. L’avènement d’instagram et du tout-idole ne marque-t-elle pas finalement la fin des icônes telles que nous les connaissons ?

Les jeunes générations suivent leurs idoles à travers l’écran et les réseaux sociaux. Instagram, nouveau lieu de culte. Depuis son canapé, il suffit d’un like pour exprimer son admiration ou sa dévotion. Mais à contrario de leur futilité apparente, les réseaux sociaux se font aussi le relais de nouveaux mouvements progressistes et de nouvelles figures charismatiques. La mannequin Ashley Graham est ainsi érigée « icône du body positive » pour sa lutte en faveur de l’acceptation de soi et contre le body shaming. Autre combat majeur relayé par les réseaux sociaux : la vague Me Too. En 2017, aux États-Unis, l’affaire Weinstein secoue la machine à rêves hollywoodienne et libère la parole des victimes d’agression et de harcèlement sexuels dans l’industrie. L’actrice Alyssa Milano, ancienne héroïne de la série Charmed, devient le porte étendard du mouvement Me Too. Elle relance le hashtag qui devient viral. Son équivalent français #balancetonporc vient aussi briser l’omerta grâce aux témoignages et à l’engagement de nouvelles figures, comme l’actrice Adèle Haenel. Autre combat, autre icône : Assa Traoré, figure de proue de la lutte anti-raciste. Conquérantes, charismatiques, solidaires, ces nouvelles icônes sont devenues le porte-drapeau d’une génération de l’engagement. Alors pour être une icône en 2020, il faut être engagée ?

assa traore foule manifestation

Assa Traoré © Pascal Bonnières (MAXPPP)

 

 

Le combat et l’engagement font partie de l’histoire des icônes comme en témoigne le destin de Rosa Parks, Ruth Bader Ginsburg, Simone Veil ou encore Gisèle Halimi. Incarnant la quintessence de l’icône engagée, leur disparition laisse un bien grand vide. Mais c’est sans compter une nouvelle génération d’artistes, de militantes, de politiques, de sportives engagées, positives et combattantes… Leur combat ? L’écologie, le féminisme, la lutte anti-raciste, la reconnaissance des minorités… Elles se nomment Michelle Obama, Alexandra Oasio-Cortez, Emma Watson, Greta Thunberg, Billie Eilish, Megan Rapinoe, Angèle, Lizzo, Yseult… Affranchies du regard masculin et de ses diktats, affranchies des normes et de ses exclusions, émancipées des notions de genre, de couleur et d’âge, nos nouvelles icônes sont devenues leur propre role model. Leur vision inclusive et ouverte en font de nouvelles icônes, le reflet de l’air du temps. Ce sont les femmes de demain, les icônes d’aujourd’hui.

 

Photo de couverture ©  Chris Allmeid

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